13 juin 2012

Plaisante partie de pêche.


Des saumons dans le désert (Salmon Fishing in the Yemen), de Lasse Hallström (2012).

            Il y a depuis longtemps dans le cinéma britannique, avec le risque de simplification que suppose ce type d’approche, deux voies bien distinctes, presque antagonistes. L’une qui se veut un cinéma du quotidien, réaliste, volontiers rugueux et peu aimable, héritier des « jeunes gens en colère » et du free cinema au tournant des années 50 et 60[1] et qui trouve peut-être son origine dans la grande école documentariste des années trente dont John Grierson fut le chef de file  --  je placerai dans cette catégorie, et en dépit de leurs différences, le cinéma de Mike Leigh ou de Ken Loach, bien sûr, mais aussi plus récemment Harry Brown, de Dominic Barber (2010), ou Tyrannausor , de Paddy Considine (2011), sans parler de tout un courant du film noir illustré notamment par Mike Hodges ; l’autre, situé à l’opposé, qui joue la carte d’un professionnalisme parfois à la limite de l’académisme, agréable et cosy en toutes circonstances, fort de cette british touch qui lui donne ici et là un parfum suranné. Des saumons dans le désert appartient d’évidence à la seconde catégorie, des films qui généralement ne bénéficient guère de l’indulgence de la critique, mais que l’on va voir un peu en fraude en se promettant cependant de délicieux plaisirs coupables.


            Et  ma foi, dans l’ensemble, le film ne déçoit pas les espoirs qu’on a pu placer en lui. Adapté d’un roman à succès[2] et écrit par Simon Beaufoy, scénariste au savoir-faire très sûr et non dénué de rouerie, auteur de deux films à (très grand) succès et aussi pleins de roublardise (The Full Monty, Peter Cattaneo, 1997, et Slumdog Millionaire, Danny Boyle, 2008), Des saumons dans le désert raconte l’histoire pour le moins improbable d’un cheikh yéménite (Amr Waked) amateur de pêche au saumon, qu’il pratique en Ecosse mais rêve d’introduire dans son pays en réalisant le rêve un peu fou (et apparemment contraire à la religion) de transformer le désert en un jardin verdoyant. Il s’adjoint pour cela les services d’une jeune chargée d’affaires (Emily Blunt) et d’un scientifique tendance costume en tweed, chemise à carreaux et veste Barbour (Ewan McGregor)  --  couple que tout sépare, c’est la loi du genre, mais qu’un scénario bien huilé finira par réunir. Il faut bien rêver un peu et les contes de fée ont de temps en temps du bon, même si leur morale est un peu courte. D’autres films nous ont déjà fait le coup, et très bien si l’on prend la peine de se souvenir de Coup de foudre à Notting Hill par exemple (Notting Hill, Roger Michell, 1998). S’y mêlent ici quelques considérations disons d’une brûlante actualité  --  politiques serait un bien grand mot. Ainsi le cheikh, bougrement sympathique et d’une grande ouverture d’esprit (il est vrai qu’il en faut beaucoup pour pratiquer la pêche à la mouche quand on est né en plein désert), doit-il affronter des terroristes intégristes adversaires du progrès tandis que le fiancé militaire de la chargée d’affaires disparaît dans une mission qu’on suppose se dérouler quelque part du côté de l’Afghanistan. Mais le film doit surtout ses meilleurs moments à l’abattage de Kristin Scott Thomas, grandiose de cynisme et de culot en chargée de presse du Premier Ministre qui mène son monde à la baguette, et les mœurs de la vie politique britannique en prennent alors gentiment pour leur grade  --  et l’on peut penser qu’en matière de mépris, de coup bas et de manipulation la fiction demeure encore en-deçà de la réalité.

            Tout cela manque bien un peu de folie, alors qu’il y avait matière à des débordements loufoques et excentriques, mais pas de ce charme qu’on espérait trouver, qu’on trouve en effet et qui manque si cruellement au récent Indian Palace , un film qui prétend jouer dans la même cour. Mercenaire du cinéma international, naviguant entre sa Suède natale, Hollywood et aujourd’hui le Royaume Uni, homme à tout faire avec plus ou moins de réussite (on lui doit entre autres L’œuvre de Dieu, la part du diable/The Cidar House Rules, 1999, et Le Chocolat/Chocolat, 2000), Lasse Halström assure cette fois plutôt bien et mène son affaire avec un professionnalisme carré (c’est plaisant à suivre) et même une certaine conviction dans l’alacrité souriante. Si l’on ajoute à cela un casting irréprochable (comme toujours dans le cinéma britannique), certes dominé par une Kristin Scott Thomas impériale, mais où Ewan McGregor joue sa partition avec beaucoup d’aisance et de finesse, on aurait grand tort de bouder son plaisir et de faire la fine… mouche.



[1] L’expression « jeunes gens en colère » désigne un groupe d’auteurs anglais des années 50 et 60 (John Osborne, Alan Sollitoe, David Storey, Harold Pinter, Kingsley Amis et quelques autres) en opposition violente avec l’establishment politique et culturel de l’époque. Des cinéastes suivirent leur exemple, adaptant souvent certaines de leurs œuvres et ouvrant ainsi la voie au free cinema (Karel Reisz avec Samedi soir et dimanche matin/Saturday Night and Sunday Morning, 1960, d’après Alan Sillitoe, Tony Richardson avec Les Corps sauvages/Look Back in Anger, 1959, d’après John Osborne, Un Goût de miel/A Taste of Honey, 1961, et La Solitude du coureur de fond/The Loneliness of the Long Distance Runner, 1962, encore d’après Sillitoe, Lindsay Anderson avec Le Prix d’un homme/This Sporting Life, 1963, d’après David Storey).
[2] De Paul Torday, disponible en 10-18 sous le titre de Partie de pêche au Yemen.

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