Des
saumons dans le désert (Salmon
Fishing in the Yemen), de Lasse Hallström (2012).
Il y a depuis longtemps dans le
cinéma britannique, avec le risque de simplification que suppose ce type
d’approche, deux voies bien distinctes, presque antagonistes. L’une qui se veut
un cinéma du quotidien, réaliste, volontiers rugueux et peu aimable, héritier
des « jeunes gens en colère » et du free cinema au tournant des années 50 et 60[1]
et qui trouve peut-être son origine dans la grande école documentariste des
années trente dont John Grierson fut le chef de file -- je
placerai dans cette catégorie, et en dépit de leurs différences, le cinéma de
Mike Leigh ou de Ken Loach, bien sûr, mais aussi plus récemment Harry Brown, de Dominic Barber (2010),
ou Tyrannausor , de Paddy Considine
(2011), sans parler de tout un courant du film noir illustré notamment par Mike
Hodges ; l’autre, situé à l’opposé, qui joue la carte d’un professionnalisme
parfois à la limite de l’académisme, agréable et cosy en toutes circonstances, fort de cette british touch qui lui donne ici et là un parfum suranné. Des saumons dans le désert appartient
d’évidence à la seconde catégorie, des films qui généralement ne bénéficient
guère de l’indulgence de la critique, mais que l’on va voir un peu en fraude en
se promettant cependant de délicieux plaisirs coupables.
Et
ma foi, dans l’ensemble, le film ne déçoit pas les espoirs qu’on a pu
placer en lui. Adapté d’un roman à succès[2]
et écrit par Simon Beaufoy, scénariste au savoir-faire très sûr et non dénué de
rouerie, auteur de deux films à (très grand) succès et aussi pleins de
roublardise (The Full Monty, Peter
Cattaneo, 1997, et Slumdog Millionaire, Danny
Boyle, 2008), Des saumons dans le désert
raconte l’histoire pour le moins improbable d’un cheikh yéménite (Amr Waked)
amateur de pêche au saumon, qu’il pratique en Ecosse mais rêve d’introduire dans
son pays en réalisant le rêve un peu fou (et apparemment contraire à la
religion) de transformer le désert en un jardin verdoyant. Il s’adjoint pour
cela les services d’une jeune chargée d’affaires (Emily Blunt) et d’un
scientifique tendance costume en tweed, chemise à carreaux et veste Barbour
(Ewan McGregor) -- couple que tout sépare, c’est la loi du
genre, mais qu’un scénario bien huilé finira par réunir. Il faut bien rêver
un peu et les contes de fée ont de temps en temps du bon, même si leur morale
est un peu courte. D’autres films nous ont déjà fait le coup, et très bien si
l’on prend la peine de se souvenir de Coup
de foudre à Notting Hill par exemple (Notting
Hill, Roger Michell, 1998). S’y mêlent ici quelques considérations disons
d’une brûlante actualité -- politiques serait un bien grand mot. Ainsi le
cheikh, bougrement sympathique et d’une grande ouverture d’esprit (il est vrai
qu’il en faut beaucoup pour pratiquer la pêche à la mouche quand on est né en
plein désert), doit-il affronter des terroristes intégristes adversaires du progrès
tandis que le fiancé militaire de la chargée d’affaires disparaît dans une
mission qu’on suppose se dérouler quelque part du côté de l’Afghanistan. Mais
le film doit surtout ses meilleurs moments à l’abattage de Kristin Scott Thomas,
grandiose de cynisme et de culot en chargée de presse du Premier Ministre qui
mène son monde à la baguette, et les mœurs de la vie politique britannique en
prennent alors gentiment pour leur grade
-- et l’on peut penser qu’en
matière de mépris, de coup bas et de manipulation la fiction demeure encore
en-deçà de la réalité.
Tout cela manque bien un peu de
folie, alors qu’il y avait matière à des débordements loufoques et
excentriques, mais pas de ce charme qu’on espérait trouver, qu’on trouve en
effet et qui manque si cruellement au récent Indian Palace , un film qui prétend jouer dans la même cour.
Mercenaire du cinéma international, naviguant entre sa Suède natale, Hollywood
et aujourd’hui le Royaume Uni, homme à tout faire avec plus ou moins de
réussite (on lui doit entre autres L’œuvre
de Dieu, la part du diable/The Cidar House Rules, 1999, et Le Chocolat/Chocolat, 2000), Lasse
Halström assure cette fois plutôt bien et mène son affaire avec un
professionnalisme carré (c’est plaisant à suivre) et même une certaine conviction
dans l’alacrité souriante. Si l’on ajoute à cela un casting irréprochable
(comme toujours dans le cinéma britannique), certes dominé par une Kristin
Scott Thomas impériale, mais où Ewan McGregor joue sa partition avec beaucoup
d’aisance et de finesse, on aurait grand tort de bouder son plaisir et de faire
la fine… mouche.
[1]
L’expression « jeunes gens en colère » désigne un groupe d’auteurs
anglais des années 50 et 60 (John Osborne, Alan Sollitoe, David Storey, Harold
Pinter, Kingsley Amis et quelques autres) en opposition violente avec l’establishment politique et culturel de
l’époque. Des cinéastes suivirent leur exemple, adaptant souvent certaines de
leurs œuvres et ouvrant ainsi la voie au free
cinema (Karel Reisz avec Samedi soir
et dimanche matin/Saturday Night and Sunday Morning, 1960, d’après Alan
Sillitoe, Tony Richardson avec Les Corps
sauvages/Look Back in Anger, 1959, d’après John Osborne, Un Goût de miel/A Taste of Honey, 1961,
et La Solitude du coureur de fond/The
Loneliness of the Long Distance Runner, 1962, encore d’après Sillitoe,
Lindsay Anderson avec Le Prix d’un
homme/This Sporting Life, 1963, d’après David Storey).
[2]
De Paul Torday, disponible en 10-18 sous le titre de Partie de pêche au Yemen.
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