15 juin 2012

Un pandémonium barbare et complaisant.


Dias de gracias, de Everardo Gout (2011).

            Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume du Mexique. La presse s’en fait certes fréquemment l’écho mais le cinéma mexicain, lui, enfonce le clou avec une délectation morbide. Police corrompue, guerre des gangs, prostitution triomphante, industrie du kidnapping et bien sûr, cerise sur le gâteau, drogue à tous les étages, rien ne manque à ce festival de noirceur absolue et de violence paroxystique où hommes et bêtes sont réduites à l’état d’objets dans un grand pandémonium barbare. Présenté hors-compétition au festival de Cannes 2011, Dias de gracias s’inscrit dans ce courant, y compris hélas sur le plan esthétique.


            Everardo Gout, dont c’est le premier long métrage, revendique d’emblée sa filiation avec un mode de récit labyrinthique où différentes histoires se développent en parallèle avant de se rejoindre plus ou moins arbitrairement, héritage tant du roman picaresque espagnol que du réalisme magique de la littérature latino-américaine. Le film s’ouvre d’ailleurs sur une citation de Gabriel Garcia Marques qui veut qu’une histoire n’existe que lorsqu’elle est racontée. Pas plus mauvais qu’un autre, le scénario développe trois histoires disposées sur trois axes temporels distincts, eux-mêmes scandés par trois coupes du monde de football (2002, 2006 et 2010)  --  idée plutôt heureuse quand on sait le poids du ballon rond dans le monde sud-américain. Se trouvent ainsi emportés dans ce qui se veut une sorte de fresque à la fois métaphorique et réaliste sur l’évolution du Mexique contemporain, quelques personnages (policiers, hommes d’affaires, mafieux) que seule réunit la déliquescence d’une société gangrénée par la cupidité, la violence et le mal, et devenue comme folle. Mais, tortueux et torrentueux à l’image des événements qu’il prétend donner à voir, le récit finit par emmêler les différents fils qui le composent, en dépit d’astuces visuelles et narratives (format d’écran, musiques, etc.) pourtant destinées à les distinguer, tant et si bien qu’il s’égare très vite et le spectateur avec lui.

            Le pire de l’affaire tient cependant aux partis pris de mise en scène (si tant est qu’un tel terme convienne ici) qui, loin de clarifier l’exposé des faits, en renforce au contraire le caractère artificiel et alambiqué. Formé à la détestable école des clips musicaux, le cinéaste en rajoute dans l’enflure et la boursoufflure, confondant esbroufe et virtuosité. Images tremblotantes et recadrages approximatifs pour faire croire à un documentaire saisi sur le vif, multiplication de plans subjectifs, montage heurté, bande-son hypertrophiée avec musique pompeuse et envahissante  --  Gout kidnappe le spectateur et lui impose plus de deux heures durant un écœurant barnum branché d’où il sort au bord de la nausée et incapable de s’y retrouver dans une entreprise finalement plus démagogique qu’autre chose, où le poids des mots n’est que vaine rhétorique et le choc des images surenchère dans l’ostentation et la complaisance.

            A voir aujourd’hui ce Dias de gracias quelques semaines seulement après Miss Bala , dans le sillage des films de Alejandro Gonzalez Inarritu et en attendant Carlos Reygadas et son Post Tenebras Lux (prix de la mise en scène à Cannes cette année), on peut se demander si les cinéastes mexicains actuels, jeunes pour la plupart, ne privilégient pas un cinéma au formalisme forcené et complaisant, pour ne pas dire racoleur  --  un cinéma qui tourne désespérément à vide mais qui paraît plaire à certains qui ont ainsi vu dans Dias de gracias (très bien accueilli lors de sa présentation à Cannes en 2011) « un travail visuel et sonore ludique, lucide et inventif »[1]. Vous avez dit mise en scène ?



[1] Le Monde du 13 juin 2012.

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