Adieu
Berthe (L’Enterrement de mémé), de Bruno Podalydès (2012).
Il y a parfois dans la vie des
moments qui prêtent à sourire, voire à rire, de façon décalée et apparemment
incongrue. La mort en fait partie, avec son cortège de rites et de passages
obligés, et aussi parce qu’on sait que le rire reste le meilleur antidote
contre la mort. Les frères Podalydès l’ont parfaitement compris qui, dans Adieu Berthe (discret clin d’œil au cher
Francis Blanche, qui savait si bien débusquer humour et poésie loufoque là où
on ne les attendait pas), s’en donnent à cœur joie, si l’on ose dire. Et nous
font mourir de rire (mais pas seulement), ce qui, pas ces temps tristounets,
est toujours bon à prendre.
Ainsi donc, comme l’indique le
sous-titre, c’est à l’enterrement de la mémé, une grand-mère oubliée dans sa
maison de retraite, que nous convient les frères Podalydès, Denis (coscénariste
et acteur) et Bruno (coscénariste et réalisateur et aussi acteur à l’occasion).
Mais si la mort de Berthe est l’objet du film, elle en est plus le prétexte que le sujet
véritable que les deux compères préfèrent aller braconner dans les marges, là
où on ne les attend pas toujours. Le récit, ne parlons pas d’intrigue, tourne
autour d’Armand (Denys Podalydès), pharmacien à Chatou, affligé d’une maîtresse
volcanique (Valérie Lemercier), d’une épouse aimante (Isabelle Candelier), d’un
fils qui l’ignore (Benoît Hamon), d’une belle-mère qu’on rêve d’assassiner
(Catherine Hiégel) et enfin d’un père gâteux (Pierre Arditi). On comprend que
dans ces conditions le malheureux Armand se réfugie dans un esprit d’enfance
qu’il parvient à retrouver ici ou là
-- quand il sillonne les rues sur
sa patinette électrique par exemple, et plus encore en s’adonnant à la
prestidigitation.
Les Podalydès jouent alors
admirablement sur deux tableaux à la fois, sachant trouver un parfait point
d’équilibre entre une drôlerie volontiers burlesque d’un côté, et une
poésie légèrement nonsensique, à la façon d’un Lewis Carroll, de l’autre. Le
comique franc et massif, et qui réjouit fort les spectateurs (le film
bénéficiera sans doute d’un excellent bouche à oreille), c’est à l’enterrement
de la mémé proprement dit qu’ils le réservent, ou plutôt à toutes les
démarches, cérémonies et rencontres que provoque un semblable événement. Avec
le choix des pompes funèbres commence pour Armand un marathon aussi sinistre
que réjouissant. D’abord sur internet, entre obsèques bios et promotions à prix
cassés (« un cercueil acheté c’est un cercueil offert ») puis dans le
monde réel avec des spécialistes de l’au-delà qui rivalisent d’invention dans
la stratégie commerciale. Bruno Podalydès soi-même y joue un croque-mort
flegmatique et débonnaire, sympathiquement empathique, spécialiste des obsèques
pour animaux à l’enseigne d’Obsécool, concurrencé par un Michel Vuillermoz
tendance gourou new age revue et
corrigée par un Kubrick époque 2001,
qui snobe son monde en en rajoutant dans la pédanterie funèbre sous les sombres
couleurs de l’entreprise Définitif (« Avec Définitif, c’est
définitif »). Rien à redire ici à une mécanique parfaitement huilée et
surtout d’une grande finesse, qu’on aimerait rencontrer plus souvent dans un
cinéma français où l’on se plaint (non sans raison d’ailleurs) que les comédies
soient systématiquement oubliées à l’occasion de ces distributions des prix
dont raffole la profession.
Mais l’enterrement de la grand-mère
se double d’une subtile étude de caractère(s) autour du personnage d’Armand,
sorte de Pierrot lunaire merveilleusement interprété par Denys Podalydès (une
de nos plus grandes pointures actuelles), incapable de choisir entre deux
femmes qu’il aime également. Sans doute manque-t-il de cette maturité, de ce
sens pratique qu’affiche sa caricaturale belle-mère et qu’exige la vraie vie.
La prestidigitation apparaît alors pour lui comme l’unique et idéale porte de
sortie -- la traversée d’un miroir magique où il
retrouve la candeur des enfants et celle des vieillards redevenus des enfants.
Aussi choisit-il finalement de s’escamoter lui-même, de disparaître, comme
Berthe disparaît pour rejoindre dans on ne sait quel au-delà le beau
prestidigitateur (il n’y a pas de hasard) qui fut son premier et seul grand amour.
Comment ne pas songer ici à la merveilleuse pièce de Eduardo de Filippo La Grande Magie, que par un hasard sans
doute pas si hasardeux que cela Denis Poldalydès a joué à la Comédie Française
il y a trois ans seulement ? Il n’y tenait pas le rôle du magicien,
démiurge un peu cynique (c’était l’excellent Hervé Pierre), mais celui du naïf
mari trompé dont la femme s’enfuit avec son amant quand le prestidigitateur la
fait disparaître avant de persuader le mari qu’elle est enfermée dans une
petite boîte où il ne la trouvera que s’il est convaincu qu’elle s’y trouve pour de vrai. Le mari préfèrera garder
la boîte fermée, s’enfonçant dans « son illusion qui est désormais sa
certitude »[1]
et refusant même de reconnaître sa femme lorsque, repentante, elle reviendra
vers lui. Alors, de la même façon, il y a fort à parier qu’à l’instant où le
film s’achève et les personnages demeurent en suspens, Armand a lui aussi
choisi de pénétrer dans la certitude de ses illusions et, comme l’écrit de
Filippo à la fin de sa pièce, de trouver « le trésor au pied de
l’arc-en-ciel ».
[1]
Eduardo de Filippo, La Grande Magie,
texte français de Huguette Hatem, « L’Avant-Scène Théâtre »,
n°801/802, 1er/15 janvier 1987.
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