Nouveau
départ (We
Bought a Zoo), de Cameron Crow (2011).
Prenez pour commencer un homme
encore jeune, du genre type sympa et copain idéal (c’est Matt Damon, très
bien), qui vient de perdre son épouse à la suite d’une longue maladie et n’arrive
pas à s’en remettre. Ajoutez ensuite deux beaux enfants adorables, surtout la
petite fille mais aussi l’adolescent plus ombrageux qui cache une blessure
intérieure sous les apparences de productions graphiques dans la manière de Tim
Burton. Epicez l’ensemble avec une palanquée d’animaux plus ou moins sauvages
mais très attachants malgré tout. Terminez par un zeste de charme très pudique
avec une gardienne de zoo jolie comme un cœur (c’est Scarlett Johansson, très
bien aussi) toute prête à consoler le veuf éploré. Mélangez tous ces
ingrédients et vous obtenez, sur le papier, le pire scénario imaginable, un
sirop d’orgeat qui vous soulève le cœur rien qu’à la lecture et qu’on a surtout
envie de fuir à toutes jambes.
Eh bien, on aurait grand tort : en
dépit de quelques moments d’émotion un peu trop sollicitée et d’un certain
maniérisme dans des retours en arrière pas forcément nécessaires et assurément
trop appuyés, Cameron Crow s’en tire plutôt bien. Et cela pour au moins deux
raisons, la première tenant à des qualités de fabrication qu’on rougirait
presque de souligner si elles ne manquaient pas trop souvent dans bon nombre de
films que l’actualité nous propose chaque semaine ; quant à la seconde,
c’est dans le scénario même qu’il faut aller la chercher -- un
scénario dont le sujet réel dépasse largement en intérêt le sujet apparent.
Qu’on le veuille ou non, qu’on en soit
ravi ou marri, le cinéma est d’abord affaire de professionnels qui maîtrisent
leur métier et ce film-ci le prouverait largement, même si son scénario se
limitait aux clichés que j’ai (légèrement) caricaturés à l’ouverture de ce
texte. C’est par ses qualités d’écriture, par des dialogues habiles et,
surtout, des personnages secondaires bien dessinés et solidement campés par des
acteurs irréprochables que le film échappe à la catastrophe annoncée. S’il
n’était que cela, on aurait affaire à une comédie sentimentale bien venue,
certes non exempte de défauts, mais qui tient bien la distance et la durée
(au-delà de deux heures et sans longueurs), trouve un ton juste de comédie
légère ponctuée de moments plus drôles et d’autres plus graves. Et ce ne serait
déjà pas si mal.
Mais, à y regarder de plus près, on ne
saurait limiter le film à une simple comédie sentimentale, et encore moins
romantique -- à la façon d’un véhicule, pas forcément désagréable d’ailleurs, pour Julia Roberts.
L’amateur de péripéties amoureuses en sera d’ailleurs pour ses frais : un
baiser fort chaste vers la fin du film et c’est à peu près tout, même si l’on peut
imaginer des suites plus tangibles -- mais rien n’est sûr : c’est sur l’image
décidément ineffaçable de l’épouse disparue que le film s’achève.
Car, bien que reposant sur une histoire
vraie (encore que sérieusement arrangée semble-t-il), le film reprend l’esprit
de la fable et s’inscrit en fait, et c’est son vrai sujet, dans la tradition
d’un populisme américain[1]
qu’illustra en son temps un Frank Capra et qui exalte la poursuite du bonheur,
l’ambition et la réussite individuelle tempérée d’humanité, des relations sociales
apaisées où le mieux pourvu aide le plus défavorisé, un optimisme toujours
triomphant même si parfois menacé, des valeurs enfin où l’honnêteté, le
travail, la droiture et la vertu seraient finalement récompensés. On aurait
bien du mal à trouver le moindre défaut à ce Bernard Mee qui décide un jour d’acheter un zoo à l’abandon pour offrir
à sa fille, dit-il, une «authentique expérience américaine». Ayant ainsi
découvert son Shangri-la[2],
rien ne l’arrêtera dans son entreprise et quand un coup du sort paraît devoir
tout remettre en cause (manque d’argent ou pluie diluvienne), un miracle se
produit et tout redevient possible.
Capra croyait aux miracles (son dernier
film, qui va être réédité en salle très prochainement, s’intitule Pocketful of Miracles[3],
1961) comme il croyait aux petites communautés soudées et enthousiastes
semblables au groupe pittoresque, hétéroclite mais uni qui entoure Bernard Mee.
Loin de la ville (il faut parcourir 28 kilomètres pour acheter une demi-livre
de beurre) et de ses possibles dangers, il relance le grand rêve agrarien de la
pastorale américaine en redonnant vie à une sorte d’arche de Noé à ciel ouvert.
Et se heurte, là encore comme un héros de Capra, à un de ces représentants de
l’état centralisé que déteste la tradition populiste. Mais l’inspecteur
tatillon, même s’il refuse de «fraterniser», donnera l’autorisation d’ouverture
et si, comme le dit la petite fille, tout le monde pense que l’individu est un «mauvais
con», elle prétend ne pas en croire un mot du haut de sa sagesse enfantine[4].
C’est que dans ce monde d’un autre temps
il ne saurait y avoir de vrais «méchants» puisque les «méchants», fussent-il des
gangsters (comme dans Pocketful of
Miracles), peuvent aussi manifester une gentillesse désarmante et trahir un
cœur d’or, et que les incrédules et les sceptiques, comme le frère de Bernard
(Thomas Haden Church, lui aussi très bien) finissent par se convertir à la
bonne cause, soulignant davantage encore l’optimisme général du propos. Rien
d’étonnant dès lors que tout s’achève par la réussite de Bernard et des siens
avec des visiteurs ravis qui les félicitent et les remercient dans un bel élan
unanimiste, la caissière (noire) de grande surface congratulant le chef (blanc)
de l’entreprise familiale. Sentimentalité
et nostalgie, qui vont souvent de pair, l’emportent donc finalement dans une
sorte d’Amérique idéalisée où l’on peut mener une vie meilleure et plus pure.
Une Amérique où, dans une grande «image consensuelle et unificatrice»[5],
on peut avoir foi en ses voisins, ceux que le personnage de la «girl next door»
qu’interprète (encore très bien) Elle Fanning appelle à la fin du film «the
people» comme en écho à ces mots que les Pères fondateurs inscrivirent en
préambule à la Constitution -- «We, the People of the United States»[6].
[1]
Rien à voir avec le populisme tel qu’on l’entend en Europe. Il s’agit d’une
opposition (menée entre autres par Jefferson avec son parti
démocrate-républicain) à un Fédéralisme au pouvoir centralisé et fort, et
favorable notamment à une
industrialisation importante du pays. A l’origine du populisme, les démocrates-républicains,
appelés aussi républicains jeffersoniens, voulaient promouvoir une république
de petits propriétaires fermiers.
[2]Dans
le film de Frank Capra Les Horizons
perdus (Lost Horizon, 1937,
d’après un roman de James Hilton), Shangri-la est le nom d’une vallée secrète
dans les montagnes du Tibet où la vie est prolongée indéfiniment dans une
atmosphère de sagesse absolue où l’on ignore la richesse, le succès ou les
querelles de pouvoir.
[3]Titre
français, moins significatif : Milliardaire
pour un jour. En revanche, une fois n’est pas coutume, Nouveau
départ me paraît plus conforme à l’esprit du film que son titre original
assez plat.
[4]
L’importance du regard enfantin et surtout de l’esprit d’enfance sont au cœur
de l’univers de Capra.
[5]
Elise Marienstras, Nous, le Peuple. Les
origines du nationalisme américain, Bibliothèque des Histoires, Gallimard,
1988, p.10.
[6]
« Nous, le Peuple des Etats Unis ».
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