L’Enfant
d’en haut, d’Ursula Meier (2012).
Il y a quelque chose de foncièrement
arbitraire dans ce qui paraît être à première vue, mais avec une évidence trop
schématique pour ne pas être trompeuse, le choix d’Ursula Meier, jeune cinéaste
franco-suisse : opposer symboliquement l’en haut à l’en bas, c'est-à-dire
le monde élevé des riches stations de sports d’hiver suisses et les cités
prolétaires qui peupleraient les vallées et seraient concentrées dans des tours
de grande hauteur. Ironiques tours et détours de l’en haut et de l’en bas et,
pourrait-on croire, de la lutte des classes.
Mais la cinéaste joue très bien son
coup et à peine a-t-elle installé son opposition géographico-manichéenne
qu’elle la détruit : il n’y a pas les méchants nantis d’en haut et les
gentils défavorisés d’en bas -- d’ailleurs, le personnage de la sœur et de
son copain mis à part, on voit fort peu de représentants de l’en bas, sinon une
petite équipe de gamins pittoresques ; et la description de l’en haut, à
un substitut de figure maternelle près (interprétée par Gillian Anderson, la
Scully de la série X-Files),
s’attache surtout à des travailleurs saisonniers finalement pas très
sympathiques.
Ce qui intéresse Ursula Meier et
dont elle fait le sujet de son film, c’est le portrait de celui qui va d’un
lieu à un autre, cet étrange go-between,
petit voleur d’une douzaine d’années en quête d’identité, ni vraiment du haut
ni vraiment du bas, ni vraiment frère ni vraiment fils, qui vit d’expédients,
objets dérobés en haut (skis, bonnets, gants, lunettes) et revendus en bas. Personnage hautement
improbable, que seule l’étonnante performance de son très jeune interprète
(Kacey Mottet Klein) rend crédible. Il faut le voir organiser son affaire avec
toute l’habileté d’un vieux professionnel, vanter son matériel avec la faconde
d’un bonimenteur de place publique ou faire la leçon à sa sœur (Léa Seydoux)
qu’il dépasse en maturité, sinon en taille, de la tête et des épaules. Et c’est
précisément sur ses frêles épaules, on l’aura compris, que tout le film repose.
Tout cela est bel et bon et parfois même
réussi mais souligne en même temps les limites d’une entreprise ni toujours
achevée ni totalement convaincante, qui pâtit d’un scénario qui finit par se
répéter et manque de tension dramatique, à l’exception d’un seul moment (dont
je tairai le contenu) qui cependant, loin de relancer l’intérêt, finit par
faire assez vite long feu. On se heurte là à cette constante d’un certain
cinéma dit «d’auteur»[1]
qui néglige l’écriture du scénario pour mieux saisir (pense-t-on) la vérité de
l’instant présent dans une sorte d’approche néo-réaliste d’où toute péripétie
voire toute construction un peu rigoureuse paraît devoir être bannie au profit
d’une vérité jugée supérieure.
Ainsi les scènes se suivent-elles,
certaines plus fortes et plus réussies que d’autres, notamment celle, en tous
points admirable, où l’enfant paie sa sœur-mère pour dormir près d’elle,
exceptionnel moment de tension et d’émotion. On comprend bien que le récit se
veut métaphorique plutôt que platement réaliste, ce qui est bien, mais une
métaphore de quoi, on serait bien en peine de le dire. Récit en forme de conte,
ai-je lu ici et là, où il serait question du Petit Poucet et de ses
mésaventures avec l’ogre (le personnage du chef cuisinier qu’interprète
Jean-François Stévenin), référence qui renvoie ce film-ci au Winter’s Bone de Debra Granik qui
imaginait aussi un personnage de sœur-mère confrontée dans une bal(l)ade
initiatique à l’univers des adultes vu sous l’angle des contes et de leur
cortège de monstres et de sorcières. La comparaison est évidemment écrasante
pour Ursula Meier, dont la sincérité n’est pas en cause, mais qui cède comme
tant d’autres avant elle au terrorisme de ce cinéma dit «d’auteur», j’y reviens,
qui, depuis la nouvelle vague (Resnais mis à part, mais il est vrai qu’il n’a
jamais appartenu à la nouvelle vague), flirte trop souvent avec l’amateurisme
au nom de la spontanéité et considère
que le respect des plus élémentaires règles de techniques narratives et
cinématographiques[2]
ne peut aboutir qu’à une forme d’académisme intolérable. La minceur de son propos, qui aurait
gagné à être resserré aux dimensions d’un moyen métrage, oblige la cinéaste à
diluer son récit et à multiplier les scènes réputées «signifiantes»,
comprenez : enracinées dans le soi-disant réel --
alors même que le film se veut métaphorique.
Tout cela est d’autant plus
regrettable qu’Ursula Meier affirme au surplus de vraies qualités dans sa
direction d’acteurs (et pas seulement avec le jeune Kacey Mottet Klein) et que
l’idée de départ de son film ne manque pas d’intérêt et aurait mérité à coup
sûr un meilleur traitement. Un traitement de professionnel sans doute.
[1]
Il faudra bien un jour arrêter de parler de «cinéma d’auteur» --
concept qui n’a en soi aucun sens et qu’on utilise en opposition à un
cinéma dit «commercial» dont la production hollywoodienne serait l’archétype
éventuellement honni. En caricaturant un peu (mais à peine), Ford, Hawks, Walsh
ou Mankiewicz ne seraient pas des auteurs (sinon après leur mort) mais
d’habiles faiseurs quand n’importe quel bricoleur (généralement européen)
tournant n’importe quoi n’importe comment en serait un.
[2]
Quand je lis dans la presse des commentaires sur la «superbe photo» du film, je
m’interroge sur les connaissances techniques d’une partie de la critique -- ou
sur l’influence du copinage, qui sait ?
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