13 avril 2012

Cuisant échec.

Twixt, de Francis Ford Coppola (2011).

            Il serait quelque peu malhonnête de prétendre que l’échec que représente Twixt soit une réelle surprise. Même si la réussite (partielle) de Tetro (2009), son précédent opus, pouvait laisser espérer un nouveau départ, force est de constater que, depuis vingt ans au moins, Francis Ford Coppola ne cesse de décevoir.

            Après une formation dans l’ombre de Roger Corman, sur lequel je reviendrai très prochainement, et un début de carrière pour le moins erratique (de Dementia 13, 1963, horrifique production fauchée, à Finian’s Rainbow/La Vallée du bonheur, 1968, comédie musicale catastrophique), il réalisa un road-movie dans l’air du temps d’alors, disons entre Easy Rider (Dennis Hopper, 1969) et Cinq pièces faciles (Five Easy Pieces, Bob Rafelson, 1970) mais prenant une femme pour personnage principal (The Rain People/Les Gens de la pluie, 1969) puis s’intégra dans ce que l’on devait appeler par la suite le «Nouvel Hollywood» au début des années 70 en acceptant de réaliser Le Parrain (The Godfather, 1972) qui reste à coup sûr un de ses sommets.


A cette décade prodigieuse qui ne compte que des réussites (les deux Parrains, 1972 et 1974, The Conversation/Conversation secrète, 1974, et, pour couronner le tout, Apocalypse Now (1979) succédèrent des années plus difficiles où Coppola, alliant mégalomanie et désir d’expérimentation et se laissant aller à un maniérisme discutable, perdit sa compagnie et ses studios (American Zoetrope), gagna beaucoup de dettes, aligna une longue série d’échecs critiques et/ou commerciaux, ne se retrouvant que pour Gardens of Stones (Jardins de pierre, 1987), belle réflexion sur la perte et le deuil, qui aborde la guerre du Vietnam de façon originale et très différente de Apocalypse Now. Il faudrait peut-être revoir deux autres films de ces années-là, Tucker (Tucker : the Man and his Dream, 1988) et surtout  Rusty James (Ramble Fish, 1983) dont Twixt semble curieusement sortir en partie.

            Egaré à tous égards, Coppola boucla les années 80 en acceptant d’ajouter, la mort dans l’âme, un troisième épisode à la saga du Parrain  --  qui, paradoxalement, conclut avec brio une trilogie dont l’importance cinématographique paraît à peu près indiscutable aujourd’hui. La suite, hélas, ne fut (à l’exception de Tetro) qu’une longue dégringolade, du grotesque Dracula (Bram Stoker’s Dracula, 1992) à ce navrant Twixt, avec dix ans de silence entre L’Idéaliste (The Rainmaker, 1997) et L’Homme sans âge (Youth without Youth, 2007). Coppola a largement expliqué depuis ce dernier film vouloir tourner en toute liberté, avec de petits budgets, presque comme l’étudiant de l’école de cinéma de UCLA qu’il fut à ses débuts. Qu’il est revenu en quelque sorte à une forme d’innocence rafraîchissante qui l’autorise à tout se permettre. On peut lui donner raison sur ce point, et notamment avec Twixt où il ne s’interdit rien et fait à peu près tout et n’importe quoi.

            Qu’on en juge plutôt. Une sorte de «Stephen King au rabais» comme il le dit lui-même (Val Kilmer) arrive dans une petite ville de l’Amérique profonde pour une séance de dédicace. Le shérif du cru (Bruce Dern, lui aussi révélé par Corman) l’amène à s’intéresser à un crime récent et à un carnage ancien perpétré dans un hôtel en ruine jadis habité par Edgar Poe. Comme notre auteur boit plus que de raison pour oublier la mort accidentelle de sa fille, s’ensuit un furieux salmigondis qui mêle réalité, rêve, réalité rêvée et brumes éthyliques, où Edgar Poe égrène avec nostalgie les noms de ses héroïnes (en hommage à Roger Corman ?) tandis que Coppola, nullement avare de références, glisse de l’univers de Twin Peaks à celui de Tim Burton, avec ses personnages livides aux maquillages fortement expressionnistes, et pratique même l’autocitation (Rusty James avec son noir et blanc incrusté de touches de couleurs, sans parler de son « Motorcycle Boy » devenu ici un « ange sauvage » burtonien) avant de conclure sur une fin aussi bâclée que précipitée avec retour à la plus prosaïque réalité  --  tout ça pour ça !

            Que l’on me comprenne bien : je ne reproche nullement à Coppola d’avoir imaginé (puisqu’il est l’auteur complet de son film) un récit alambiqué et sibyllin. Là n’est pas la question, et David Lynch (très présent ici) nous a menés bien souvent sur des chemins encore plus tortueux. Mais Lynch ou Burton ont bâti de film en film un univers personnel, riche et surtout cohérent, quand Coppola juxtapose de façon arbitraire et opportuniste une suite de séquences pêchées ici et là, un peu comme si le grand n’importe quoi devenait sa règle d’or au nom, peut-être, de cette liberté qu’il revendique si fort. On m’objectera que l’onirisme, le rapport au temps et au vieillissement ou les relations familiales (avec les ravages qu’induit la mort d’un enfant) apparaissent dans ses films comme des thèmes récurrents auxquels il est ici fidèle. Mais pour autant, des thématiques ne sauraient suffire pour fonder une œuvre et si certains cinéastes brillent par la constance de leurs préoccupations, d’autres, en revanche, ont su faire de l’éclectisme une richesse. Et puisque obsession il y a quant à la mort tragique d’un de ses fils dans un accident de hors-bord en 1986, on doit malheureusement constater que Coppola (dont je ne doute nullement de la totale sincérité) se révèle in fine incapable de transposer de façon satisfaisante ce douloureux traumatisme. Echec qui frappe d’autant plus quand on se souvient de Jardins de pierre qui évoquait à chaud (son fils venait tout juste de se tuer) mais avec infiniment plus de finesse et de tact la perte d’un être cher.

            Reste ce que l’on n’appellera pas la mise en scène tant Coppola semble là aussi avoir perdu ses moyens et ses repères. Le cinéaste a beau revendiquer encore une fois sa liberté en utilisant la technique dans tous ses états, y compris ses développements les plus récents (une pincée de 3D dont on se demande ce qu’elle vient faire là[1]), c’est surtout son impuissance qu’il manifeste dans ce grand bric-à-brac visuel qui fluctue entre maladresse et esthétisme, dérapant dans la désuétude quand il coupe en deux l’écran pour cadrer des personnages qui se parlent au téléphone. S’agit-il chez lui d’un phénomène régressif, de la volonté d’un retour à un cinéma de l’ancien temps ? On pourrait au moins y voir cette fois une forme de cohérence, avec son désir manifeste (et peut-être chargé de nostalgie) de redevenir l’étudiant de ses jeunes années. Quelque chose comme la quête illusoire d’une sorte de «Rosebud» par un cinéaste qui semble vouloir se prendre désormais pour Orson Welles  --  mais qui en est bien loin.



[1] Et dont le spectateur lambda semble être privé : il ne s’en plaindra pas.

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