11 avril 2012

Etrange bestiaire (2).

Sur la piste du marsupilami, de Alain Chabat (2012).

            Alain Chabat aime visiblement bien la gent animale, au point de s’être imaginé naguère dans la peau d’un chien (Didier, 1997). Il aime aussi la bande dessinée, dont il a un peu tâté à ses débuts, réussissant par la suite une excellente adaptation d’Astérix et Cléopâtre (Astérix et Obélix : Mission Céopâtre, 2001). Partir à la poursuite du marsupilami ne pouvait donc que lui convenir et il réussit admirablement son coup. Bien qu’ayant imaginé un scénario original, Chabat situe d’entrée de jeu son propos dans les années triomphantes de la bande dessinée venue de Belgique qui s’est développée, comme chacun sait (?), selon deux lignes plus ou moins opposées sinon concurrentes : la ligne « sombre », volontiers caricaturale, tendance Spirou (Jijé, Franquin, Greg et tous ceux de l’école de Marcinelle, du côté de Charleroi) et l’autre dite « claire », dépouillée et peu exubérante, tendance Tintin, dans le sillage de Hergé et de l’école de Bruxelles.


            Chabat, lui, réconcilie tout le monde. Sans doute André Franquin, l’heureux papa du gaffeur Gaston, de Modeste et Pompon et bien sûr du marsupilami, apparaît-il en amont et en aval de toute l’entreprise, jusque dans sa période plus sombre, celle des « idées noires », où il brocardait violemment toutes les formes d’imbécilité militante et manifestait avant (presque) tout le monde des préoccupations écologiques. Mais, pour autant, Hergé n’est jamais bien loin et, en dépit des « ipoud » (à prononcer tel quel) et des nouvelles technologies, c’est d’un avion à hélices comme on en voit tant dans les albums d’Hergé que débarque en Palombie Dan Gérald, reporter calamiteux (Chabat en personne); quant au «fixer» non moins calamiteux, qu’incarne à merveille Jamal Debbouze, aux prises avec un lama cracheur, il reprend à son compte les mésaventures du capitaine Haddock dans Le Temple du soleil (avec le même retour à l’envoyeur) ; et comment ne pas voir enfin derrière la Palombie et ses dictateurs d’opérette les silhouettes drolatiques des généraux Tapioca ou Alcazar et de leurs sbires  --  vêtus ici d’un uniforme du plus beau vert, comme dans Tintin et les Picaros.

            Mais Chabat, et c’est sa réussite, ne limite pas son comique à quelques clins d’œil malicieux ou à des citations bien venues. Il le diversifie au contraire, mêle habilement non-sens et jeux sur les mots[1], gags cartoonesques, pastiche et parodie, fait feu des quatre fers, entre burlesque et détournement, bien épaulé par une brochette de comparses en grande forme. On n’est pas près d’oublier Jamel Debbouze, vétérinaire d’occasion, ranimant un perroquet bavard, Lambert Wilson, dictateur malgré lui, et groupie de Céline Dion, sur la corde raide d’un grand numéro de travesti délirant ou Fred Testot, sorte de docteur Faust mâtiné de docteur Folamour finissant dans la peau d’un Benjamin Button en version accélérée. Retrouvant à l’occasion la veine plus sombre de Franquin, Chabat en profite pour égratigner au passage, mais sans lourdeur ni insistance, les travers de l’époque, de l’arrogance des médias à la folie criminelle des prédateurs à deux pattes qui massacrent la nature, sa faune et sa flore.



[1] Gageons que le regretté Pierre Dac aurait apprécié à sa juste valeur la devise de la Palombie (« Palompeu Palombien ») ou l’idée grandiose d’un « passage secret » secret.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire