5 janvier 2012

Petit florilège pour l'année 2011.


N’ayant par nature aucune espèce de goût pour les palmarès, les distinctions honorifiques et autres médailles (ces hochets qui font marcher les hommes, comme disait à peu près Napoléon, qui s’y connaissait), je ne suis guère enclin à établir ma liste des cinq, dix ou vingt meilleurs [1] films de l’année 2011 qui vient de s’achever.
Je céderai pourtant une fois, et une seule,  à cet exercice toujours un peu vain mais que l’on pratique un peu partout à cette période de l’année, et que j’ai moi-même pratiqué il y a longtemps, mais qui a au moins une vertu : éviter un long et ennuyeux (et aussi sans doute inutile) discours théorique en composant une sorte de portrait impressionniste des goûts et des couleurs de celui qui s’y livre ; illustrer en somme très concrètement la formule dis-moi ce que tu aimes et je te dirai qui tu es.
J’ai donc retenu huit titres plus un, histoire de ne pas faire comme tout le monde (et un peu par provocation aussi) ; et, pour faire mesure, mais sans m’étendre plus que nécessaire, j’en citerai un dixième qui résume à lui seul toutes mes exécrations en matière de cinéma (ce que l’on déteste peut avoir aussi du sens). Enfin, plutôt qu’un quelconque ordre préférentiel, j’ai privilégié un classement chronologique, soit donc :
·         Winter’s bone, de Debra Granik, dont c’est le troisième film mais apparemment le premier à sortir en France, qui propose une sorte de ballade chez les pauvres blancs des mont Ozark, en plein cœur de l’Amérique profonde, sur laquelle planent les ombres de Mark Twain, William Faulkner et James Agee (celui de Louons maintenant les grands hommes) et qui en appelle à ces contes noirs dont toutes les terreurs enfantines se nourrissent.
·         Animal Kingdom, de David Michôd, noir film noir parfaitement abouti, beau fleuron d’un cinéma australien dont nous voyons malheureusement trop peu de productions et dont deux autres cinéastes m’ont paru témoigner ces derniers temps de la bonne santé : John Hillcoat (pour La Proposition et, dans un cadre hollywoodien, La Route) et Nash Edgerton avec The Square, superbe exercice de style dans l’esprit de James Cain (celui du Facteur sonne toujours deux fois) --  film  passé totalement inaperçu lors de sa sortie début janvier 2009 [2].
·         Drive, de Nicolas Winding Refn, fascinant exercice de mise en scène pure, chronique behaviouriste striée d’éclairs de violence extrême, errance épurée au royaume du film noir, moins radical que ses précédents films (Le Guerrier silencieux notamment) mais parfaitement accompli.
·         The Artist, de Michel Hazanavicius, belle gageure où le cinéaste retrouve l’essence même de son art et démontre avec brio que c’est en étant d’abord muet que le cinéma a découvert l’esprit de la mise en scène et son sens, le son n’étant à tout prendre qu’un épiphénomène.
·         Les Marches du pouvoir, de Georges Clooney, qui s’inscrit dans la tradition d’un certain cinéma américain de dénonciation politique qui eut son heure de gloire dans les années 70 (et dont l’archétype pourrait être Les Hommes du Président, d’Alan J. Pakula, 1975) et témoigne des très réels progrès accomplis par Georges Clooney en tant que cinéaste.
·         Carnage, de Roman Polanski qui n’a bien sûr plus rien à prouver et qui pourtant, de film en film, et même parfois en traitant des sujets « mineurs »,  prouve qu’il est et demeurera un des cinéastes majeurs de ce temps, un des rares dont on puisse dire que le travail est parfait à tous égards (de l’écriture au montage en passant par le choix et l’organisation des cadrages et des mouvements d’appareil).
·         Shame, de Steve McQueen, un plasticien (espèce souvent redoutable), mais qui pour le coup, plutôt que de faire le malin comme beaucoup de ses petits camarades, préfère jouer avec sagesse du contraste entre une mise en scène joliment maîtrisée et un sujet particulièrement dérangeant (et très « casse-gueule »).
·         Time out, de Andrew Niccol enfin, parce que ce cinéaste (néo-zélandais d’Hollywood), très intégré au système mais dont les très intéressantes réalisations ont toutes été des échecs commerciaux, est parvenu jusqu’ici contre vents et marées à développer une œuvre riche, cohérente et infiniment personnelle (y compris dans son scénario pour The Truman show, de Peter Weir) qui comptera, j’en prends le pari.
Une mention particulière pour un neuvième film, sorti à la sauvette en tout début d’année, Harry Brown, de Daniel Barber, avec un Michael Caine solitaire, impérial et glacé. Loin d’être cette apologie de l’auto-défense que certains ont voulu y voir à tort, c’est une radiographie sans complaisance de la violence qui hante le corps social moderne en pleine déliquescence, le tout filmé au scalpel avec un regard sec [3] mais non dénué pour autant d’empathie. On songe plus d’une fois (et c’est un beau compliment !)  à La Loi du milieu, de Mike Hodge (1971), le premier Get Carter, avec déjà Michael Caine  --  et non pas son remake, nullissime, interprété  en 2000 par Sylvester Stallone et réalisé par je ne sais quel obscur tâcheron hollywoodien.
Quant au dixième film, il réunit à mes yeux toutes les tares d’un certain jeune cinéma français qui fait florès à l’heure actuelle et réussit l’exploit de cumuler absence de scénario et de mise en scène (ou alors, ce qui est possible après tout, ma conception de la mise en scène de cinéma est-elle complètement erronée) : c’est L’Apollonide – souvenirs de la maison close, de Bertrand Bonello, dont on sait par ailleurs qu’il a bénéficié d’une sélection à Cannes (en compétition) et, lors de sa sortie parisienne d’une couverture médiatique exceptionnelle et exceptionnellement favorable.
Reste enfin, et ce sera ma conclusion, que, à l’instant où j’écris ces lignes, on peut déjà voir sur les écrans ce qui sera à coup sûr, n’ayons pas peur des mots, l’un des films majeurs de 2012 : Take Shelter, de Jeff Nichols, sur lequel je reviendrai plus longuement un jour prochain.

Post-scriptum qui n’a rien à voir. Un grand merci à Abdul Alhazred dont l’aide technique et les conseils m’ont été d’un grand prix et sans qui ce bloc-notes n’existerait pas.
[1] Il faudrait d'ailleurs s'entendre sur le mot meilleur : meilleur pour qui, meilleur pourquoi. Tout est toujours relatif et, au surplus, je suis très loin (par choix) d'avoir vu tous les films sortis en 2011. Alors...
[2] A noter que le frère de Nash Edgerton, Joel, co-scénariste et acteur dans The Square, joue par ailleurs dans Animal Kingdom. Contre-exemple malheureux: Les Crimes de Snowtown, de Justin Kurzel, qui vient de sortir, monument de complaisance dont toute la mise en scène se résume à des effets désastreux de caméra tenue à l'épaule.
[3] Rappelons cette phrase de Georges Darien (romancier d'une époque pré-cinématographique): "Les yeux d'un écrivain, pour être clairs, doivent être secs".

3 commentaires:

  1. Il convient de noter que le _vrai_ titre du film d'Andrew Niccol est « In Time », que je ne sais quel jeanfoutre a cru bon de rebaptiser en « Time Out » pour le public français (sic !). Ce qui, me semble-t-il, ne véhicule absolument pas la même idée (dans l’un on insiste sur le temps qui reste, dans l’autre sur celui qui manque). Il est amusant, d’ailleurs, que vous l’ayez gardé dans votre sélection, je lisais ce matin un article de Wired qui le choisissait parmi les "10 déceptions de l’année 2011" -- ce que je peux comprendre, en regard des films précédents de Niccol.

    Si je puis me permettre une suggestion de pure forme, il serait peut-être bon d’indiquer systématiquement les titres de films sous forme d’un lien vers la page IMDB correspondante ; d’une part cela permettrait de repérer (visuellement) plus facilement les films que vous citez, et d’autre part c’est une pratique fort utile pour qui voudrait, vous lisant, se remettre en tête quelques informations détaillées.

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  2. Je serai le premier à laisser un commentaire.

    Comme vous le dîtes très bien, ce genre de classements n’apporte pas grand-chose d’un point de vue cinématographique et permet surtout de connaître les goûts de celui qui l’effectue. Il a toutefois un certain intérêt pour les lecteurs, aidant à situer les préférences du rédacteur. Pour prendre un exemple caricatural, je n’aurais clairement pas une haute opinion des avis de quelqu’un qui mettrait dans son top 3 Transformers 3, Hollywoo et Thor.
    Votre top est en ce sens assez parlant et donne une idée de vos préférences, des films qui vous intéressent et de pourquoi ils vous intéressent.

    Je ne porterai pas de jugement sur les films présents, n’ayant de toute façon vu que les 4 premiers de votre liste (que j’ai particulièrement apprécié).
    J’avoue avoir volontairement zappé Les marches du pouvoir et Time out, dont je n’avais pas entendu de très bons échos. Le sujet de Shame ne m’intéressait pas du tout, et j’ai laissé mon amie s’y rendre seule, pendant que j’allais voir le très intéressant Tange Sazen et le pot d'un million de ryôs de Sadao Yamanaka à la Cinémathèque. Enfin, j’ai hésité pour Carnage mais les fêtes et d’autres films plus prioritaires m’ont empêché d’aller le voir jusqu’à présent.

    Je note avec intérêt votre description de Harry Brown, qui me donne bien envie, ne serait-ce que pour la présence de Michael Caine Je n’en avais pas du tout entendu parler lors de sa sortie.

    Quant à Take Shelter, je compte bien aller le voir en début de semaine prochaine au Max Linder, et j’attends votre avis avec impatience.

    Enfin, concernant mon aide technique, il n’y a pas de quoi : je ne peux que me réjouir d’avoir un petit peu contribué à l’apparition d’un nouveau blog cinéma.
    Après lecture des deux intéressants premiers billets, je suis content que vous ayez pris la décision de vous lancer dans l’écriture de ce blog, que je vais suivre avec attention et dont je compte bien faire la publicité.

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  3. @vvillenave
    Merci, mon cher Valentin, pour ce commentaire.
    Concernant les titres des films, je n'ai cité que les titres d'exploitation en France. Je donnerai si possible les deux dans les textes à venir. Mais, soyons honnête, j'aurais du mal quand il s'agira de films chinois ou japonais (qui disposent cependant parfois d'un titre en anglais). "In Time" a sans doute plus de sens que "Time out" (qui fait plutôt penser au "Pariscope" de Londres) et il y a dans le choix du distributeur une logique qui m'échappe; mais ça ne date pas d'aujourd'hui, souvenons-nous de "Midnight Cow-boy" devenant en "français" "Macadam Cow-boy", et c'était en 1969.
    J'ai par ailleurs entendu parler du classement de "Wired". A chacun son opinion. Outre que les classements ne sont pas précisément ma tasse de thé, je n'oublie pas que la critique américaine a souvent été particulièrement calamiteuse, notamment avec ses propres cinéastes. Andrew Sarris (au "Village Voice") et Pauline Kael (au "New-Yorker") ne juraient jadis que par le cinéma européen et sous-estimaient (quand ils ne les massacraient pas) pour ainsi dire tous les cinéastes américains que l'on considère aujourd'hui comme important. Comme films, cinéastes et aussi critiques se jugent en appel, je propose d'attendre quelques années pour y voir plus clair dans le cas Niccol. En attendant, il n'est pas interdit de prendre des paris.

    @Abdul Alhazred
    Merci pour vos commentaires et aussi, je le répète, pour votre aide et vos conseils qui ont été déterminants.
    Il va sans dire que je ne vois pas tous les films qui sortent à Paris. C'est bien entendu délibéré et je prends le risque de rater de grandes réussites qui passeraient inaperçues. Il m'arrive aussi de me fourvoyer en toute bonne foi mais, dans ce cas, je préfère me taire. Si j'ai évoqué "L"Apollonide" (que je suis d'ailleurs allé voir sans idée préconçue), ce n'est pas pour le plaisir d'être désagréable mais simplement pour donner une idée concrète de ce que je n'aime vraiment pas et qui me paraît d'ailleurs préjudiciable au cinéma.Je ne prétends pas avoir sélectionné huit chefs-d'oeuvre (je n'aime guère ce mot) mais huits films très différents les uns des autres et qui m'ont tous intéressés à des titres divers. Après, une fois encore, des goûts et des couleurs...

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