18 décembre 2012

Un film de producteur.


Le Hobbit : un voyage inattendu (The Hobbit : An Unexpected Journey), de Peter Jackson (2012).

            C’est d’abord l’histoire de la rencontre inattendue d’un cinéaste plutôt obscur, auteur de quelques bandes gores sans autre intérêt qu’un pittoresque déjanté, et d’une œuvre littéraire hissée au niveau d’un mythe planétaire. Qui aurait jamais imaginé que Peter Jackson trouverait un jour son chemin de Damas cinématographique en adaptant la saga de Tolkien, « Le Seigneur des Anneaux » hier, « Bilbo le Hobbit » aujourd’hui ? Il faut dire que le spectaculaire riche en exotisme et effets spéciaux lui convient à merveille : son excellent remake de King Kong (2005) en témoigne, de même que, preuve par l’absurde, l’exécrable Lovely Bones (2009) marque ses limites dans un registre de fantastique disons plus psychologique et intimiste.

            Le film qui nous arrive aujourd’hui, premier volet d’une nouvelle trilogie, a connu quelques vicissitudes avant d’échoir dans l’escarcelle du réalisateur néo-zélandais, qui ne devait en être à l’origine que le producteur exécutif (si j’ai bien compris). Sam Raimi puis surtout Guillermo del Toro furent tour à tour pressentis pour diriger cette nouvelle saga, prequel du Seigneur des anneaux, mais d’atermoiements juridiques en déclarations tonitruantes, c’est Jackson lui-même qui s’y est finalement collé  --  au grand soulagement des fans et retrouvant du même coup (sans vouloir préjuger de la qualité des deux volets suivants) la verve et l’inspiration des précédents opus.

            Il était, me semble-t-il, plus difficile d’aborder « Bilbo », roman des origines, si l’on peut dire, paru en 1937, et qui pose en quelque sorte les jalons de toute l’œuvre à venir, indiscutablement colossale  --  qu’on l’aime ou pas. On y est loin de l’ampleur épique du « Seigneur des Anneaux » : l’intrigue est assez linéaire, parfois répétitive et même un peu ennuyeuse tant cette quête initiale (et initiatique) semble traîner en longueur  --  je me suis donné la peine de relire le livre pour l’occasion, et je prends le risque de ces réserves ! Certes il y a bien ici ou là quelques morceaux de bravoure mais comme égarés parmi beaucoup de platitudes. On peut imaginer sans grand risque que, privé de sa suite publiée en 1948 (et d’une toute autre qualité), « Bilbo » n’aurait pas connu la postérité que l’on sait.

            Malin et bon connaisseur de l’univers de Tolkien, Peter Jackson demeure fidèle (au moins dans ce premier volet) à la trame générale du roman tout en ajoutant habilement des éléments de suspense et d’angoisse  --  essentiellement la traque de la compagnie par l’épouvantable Azog (juste cité dans le roman comme l’assassin du grand-père de Thorïn) et ses redoutables gobelins chevauchant d’horribles Wargs. Jackson possède cette qualité de savoir développer une longue séquence riche en péripéties à partir de quelques lignes seulement de Tolkien dans son roman. Ainsi apporte-t-il à l’ensemble une dynamique dramaturgique qui manque parfois au roman, montrant d’ailleurs au passage combien l’écriture scénaristique peut et doit être différente de l’écriture romanesque. La comparaison entre les cent soixante-cinq minutes du film et les cent vingt premières pages du livre qu’elles adaptent et illustrent pourrait faire l’objet d’un intéressant séminaire pour école de cinéma. C’est cette générosité dans l’intrigue qui séduit d’abord ici alors même qu’on pouvait craindre que toute l’entreprise se contentât d’exploiter ad nauseum le juteux filon du Seigneur des Anneaux.

            L’univers demeure bien entendu le même, avec ses personnages et ses décors récurrents, mais il serait aussi vain et absurde de reprocher au cinéaste de se répéter que d’accuser Ford, Walsh, Hawks et pas mal d’autres d’avoir toujours tourné le même western avec chevaux, Indiens et cow-boys. Jackson parvient en fait à relancer ici l’intérêt pour une mythologie dont on pouvait penser que Le Seigneur des Anneaux avait épuisé à peu près toutes les richesses, notamment en donnant une fois encore une belle ampleur à ses séquences les plus spectaculaires. On peut certes ne pas adhérer à l’univers tolkienien (je ne suis nullement un inconditionnel), voire en discuter l’hypothétique idéologie, mais il faut  accepter de jouer le jeu, ou alors s’abstenir.

            On ne saurait pour autant prétendre découvrir un véritable auteur tant Jackson  s’égare quand il veut faire œuvre personnelle ou originale (voir une fois encore Lovely Bones). Son actuel compagnonnage avec Steven Spielberg et leur travail (bien moins heureux) autour des aventures de Tintin le montre sans ambiguïté : il est davantage un producteur à l’ancienne, quelqu’un capable de réunir et de fédérer des talents épars en un tout cohérent et harmonieux. Un peu (pour prendre un exemple célèbre[1]) comme le fut en son temps le David Selznick de Gone with the Wind (Autant en emporte le vent, 1939) qui, sans prétendre minimiser le rôle de Victor Fleming et d’autres collaborateurs (le décorateur William Cameron Menzies notamment), demeure le prototype même du film de producteur. Un film qui, en dépit de ses défauts, continue à passer les années avec succès  --  ce qui risque d’arriver à la saga « hobitienne » de Peter Jackson. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.



[1] Mais on pourrait tout aussi bien tenir le même raisonnement à propos de la trajectoire plus récente d’un George Lucas.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire