Le
Capital, de Costa-Gavras (2012).
Costa-Gavras est de ces cinéastes
courageux et pas très nombreux qui estiment que leur inspiration doit naître
d’une indignation ou d’un engagement, et souvent des deux à la fois. Rares sont
ses films qui ne s’intéressent pas peu ou prou à l’actualité, celle d’aujourd’hui
comme celle d’hier -- qui appartient désormais à ce qu’on appelle
l’Histoire. Il a ainsi développé en bientôt cinquante ans (son premier film, Compartiments tueurs, un très bon polar
adapté d’un roman de Sébastien Japrisot, date de 1965) une œuvre assez
cohérente, avec des fortunes diverses assurément, mais d’une sincérité et d’une
honnêteté absolues. L’homme croit visiblement à ce que fait le cinéaste et
inversement, au prix parfois de lourdeurs et de simplifications qui limitent la
portée de son discours. Ainsi, en illustrant des thèmes assez voisins, qui
mettent en cause les méfaits bien réels du capitalisme financier, peut-il tour
à tour réussir un film intelligent et malin (Le Couperet, 2005) ou au contraire, comme aujourd’hui, se laisser
entraîner dans un festival d’images d’Epinal aussi pesantes que finalement peu
convaincantes.
Nul doute que l’histoire de cet
homme de paille qui devient plus requin que les pires requins d’un milieu qui
n’en manque pas ne reflète fidèlement les mœurs désastreuses de financiers sans
foi ni loi. Mais qui peut prétendre ignorer de telles pratiques alors que les
médias, quoi qu’on en dise, s’en font largement l’écho (sans que rien ne
change, j’en conviens), et qu’il n’est guère difficile d’imaginer pire encore
pire en matière de canaillerie financière
-- certaines affaires récentes
nous l’ont hélas largement montré. Il faut être sourd et aveugle ou vivre sur
une île déserte et coupée du monde pour ne rien connaître de ce que nous
raconte ici Costa-Gavras. Cependant, me dira-t-on, une charge d’une telle
vigueur ne manquera pas de réveiller les consciences trop enclines, aliénées
qu’elles sont, à oublier les réalités d’un monde à la férocité dévastatrice.
Certes, mais encore faut-il davantage de rigueur dans la démonstration et
savoir aller débusquer le réel en dépassant les apparences et les clichés.
Car si les (mauvaises) actions que
décrit ici Costa-Gavras ne sont que trop crédibles, les personnages, eux,
manquent singulièrement de chair, réduits pour la plupart à des pantins sans
consistance, à la limite de la caricature (ah ces odieux Américains qui mêlent
avec cynisme stupre et cupidité). Plutôt que de rester à la surface des choses,
on aurait aimé que le cinéaste et ses scénaristes approfondissent caractères et
situations en allant au-delà de ce que nous savons déjà. Bref, qu’ils sortent
des sentiers battus et nous étonnent un peu tout en conservant la juste (mais
peu subtile) indignation qui les anime.
Il n’est pas certain que le choix de
Gad Elmaleh pour interpréter l’apprenti requin tout à la fois cynique et dégoûté,
pour séduisant qu’il ait pu être sur le papier, se révèle judicieux à
l’arrivée. Visiblement mal à l’aise, incapable de trouver le bon ton, l’acteur,
dont on comprend qu’il souhaite sortir de ses rôles d’amuseur, a bien du mal à
se glisser dans le costume sur mesure
d’un personnage après lequel il semble courir sans jamais parvenir à le rattraper.
Difficile aussi de supporter sans rire ses ridicules frasques extraconjugales
avec un mannequin particulièrement tête-à-claques dont on ne sait trop s’il
s’agit d’une machination qui tourne court ou d’un épisode vaudevillesque et
graveleux qui n’a d’autre nécessité que de nous faire comprendre avec insistance (juste
au cas où…) que tout ce petit monde ne cesse de sacrifier à la sainte trinité
du fric, de la drogue et du sexe -- sur le dos du malheureux travailleur, bien
entendu. On n’est pas loin de ces chromos soviétiques d’un autre âge opposant
le vaillant ouvrier à casquette au capitaliste libidineux et décadent portant
smoking.
Tout cela est d’autant plus
regrettable que Costa-Gavras assure de façon plutôt satisfaisante côté mise en
scène, avec une mention spéciale pour le remarquable travail d’Eric Gautier, un
de nos meilleurs chefs opérateurs, d’une pointure indiscutablement
internationale -- comme quoi le cinéma français est aussi un
produit d’exportation. Faisant d’autant plus ressortir le décalage du jeu de
Gad Elmaleh, quelques acteurs se distinguent au surplus dans des rôles
secondaires -- Natacha Régnier, Hippolyte Girardot, Céline
Sallette, Philippe Duclos ou encore Bernard Lecoq, plus chiraquien que jamais.
Dommage vraiment que toute cette belle mécanique tourne à vide, plombée par la
lourdeur simpliste d’un scénario en forme de catéchisme trop démonstratif.
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