Thérèse
Desqueyroux, de Claude Miller (2012).
Etait-il bien nécessaire de proposer
au public de 2012 une nouvelle version de Thérèse
Desqueyroux dont il existe une première adaptation réalisée par Georges
Franju en 1962, avec Emmanuelle Riva et Philippe Noiret et sur des dialogues de
Mauriac lui-même -- par ailleurs co-auteur du scénario ?
Cette histoire qui paraît d’un autre temps peut-elle encore nous toucher, ou
seulement nous intéresser ? La réponse à ces interrogations, que l’on peut
en fait formuler pour n’importe quel film, tient évidemment au regard que porte
le metteur en scène sur son sujet, à la
façon dont il aborde et traite ses personnages et dont il dirige les acteurs
censés les incarner, enfin aux choix qui sont les siens dans l’écriture du
scénario (s’il y participe, ce qui est le cas ici) et dans les partis pris de
la mise en scène. Ce travail alchimique délicat et mystérieux, qui est
l’essence même de l’art cinématographique, il n’est pas certain que Claude
Miller (disparu en avril dernier) soit parvenu à le mener totalement à bien
ici.
Non que le film soit le moins du
monde déshonorant. C’est de l’excellent travail de professionnel, maîtrisé de
bout en bout et bien interprété par des acteurs irréprochables -- notamment
un Gilles Lellouche qui trouve là l’occasion de sortir de ces rôles sans grand
intérêt dans lesquels il se laisse un peu trop volontiers enfermer. Bref, de la
belle ouvrage proche de cette « qualité française » dont on parlait
autrefois (pour en dire du mal en général), du cinéma impeccable comme on n’a
pas toujours l’occasion d’en voir. Mais l’intérêt dans tout cela, cette
impérieuse nécessité qui fait qu’un cinéaste prend son spectateur par la main
(quand il ne l’empoigne pas plus vigoureusement) pour ne le lâcher qu’une fois
son film accompli et après l’avoir mené précisément là où il voulait ?
Peut-être Miller affadit-il d’entrée
de jeu son récit en lui rendant sa continuité chronologique alors que le roman
(et l’adaptation de Franju) commence par un long retour en arrière où Thérèse
cherche à comprendre et expliquer ses actes. Ce choix un peu scolaire, il l’accentue
encore en ponctuant le film d’indications de dates parfaitement inutiles et
même redondantes. Il dilue ainsi des scènes que Thérèse évoquait dans son
souvenir entre sa sortie du Palais de Justice, après le non-lieu, et son retour
auprès de son mari, et cette sorte de monologue intérieur permettait de mieux
comprendre l’évolution du personnage. On comprend certes ici que Thérèse finit
par étouffer aux côtés d’un mari plus balourd que méchant et qui surtout ne
comprend rien à ce qui l’entoure, mais rien n’explique vraiment ce passage du
conformisme à la révolte -- alors que dans le roman la rencontre avec
Jean Azevedo sert de pivot psychologique au récit. Ici tout apparaît trop
lisse, trop uni, et cette absence d’aspérité ne rend guère justice à la
complexité psychologique d’une histoire un peu trop réduite à une suite de
belles images soigneusement reconstituées et filmées.
Miller et sa co-scénariste Natalie
Carter, paraissent d’ailleurs s’intéresser davantage à l’analyse sociale qu’à
l’étude de caractère. C’est un choix respectable mais qui demeure un peu court
et manque ici de profondeur et, pour tout dire, de méchanceté. Ils
n’apparaissent certes guère sympathiques
ces représentants d’une bourgeoisie bordelaise rétrograde, englués dans les
préjugés, attachés à l’apparence des convenances et de l’honneur, peu
regardants sur les bassesses et les perfidies, mais, si j’ose dire, ils
manquent de grandeur dans leur petitesse. On en reste ici au niveau d’un
constat assez plat et l’on rêve à la façon dont un Autant-Lara jadis (que l’on
se rappelle seulement de Marguerite Moreno dans Douce, 1943) ou un Chabrol plus récemment auraient su traiter de
semblables personnages.
Aussi est-ce sans réelle passion
mais sans ennui non plus que l’on suit cette histoire de feu sous la glace où
la glace finit par tout recouvrir. Claude Miller connaît admirablement son métier,
c’est entendu, mais, quitte à s’attaquer à une histoire de cette sorte, et
qu’on peut juger à bon droit désuète, sans doute aurait-il pu lui rendre
davantage justice en adoptant un ton plus tranchant que le roman autorisait.
Telle quelle, inconfortablement installée entre deux chaises, cette nouvelle Thérèse Desqueyroux laisse finalement de
marbre -- indifférent pour tout dire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire