Frankenweenie,
de Tim Burton (2012).
Après la réussite en demi-teinte de Dark Shadows , Tim Burton nous devait une
revanche. C’est chose faite aujourd’hui avec ce long métrage d’animation
jubilatoire, tellement burtonien qu’on ne manquera pas ici ou là de faire des
gorges chaudes à propos de ce cinéaste qui ne cesse de s’auto-caricaturer et de
se répéter à l’envi, bref : de tourner en rond, non sans nourrir au
passage de peu sympathiques préoccupations mercantiles --
après tout, la franchise Tim Burton nourrit plutôt bien son homme. Mais
si tourner en rond c’est faire preuve, comme ici, de cohérence dans
l’inventivité, d’originalité dans les choix esthétiques ou encore d’humour dans
le développement d’un scénario impeccable et truffé de références
cinématographiques, alors souhaitons que beaucoup d’autres cinéastes se
décident eux aussi à tourner en rond d’aussi belle façon -- ce
ne sont pas les cinéphiles qui s’en plaindront.
Démarrant sur la projection d’un
film à l’intérieur du film (un court métrage fantastique réalisé par un enfant
solitaire), Burton annonce d’entrée de jeu la couleur : veine
autobiographique et mosaïque cinéphilique. C’est qu’il lui ressemble diablement
ce Victor Frankenstein qui vit avec sa famille dans une de ces petites villes
de la banlieue américaine, aseptisées et tirées au cordeau, ennuyeuses et sans
âme, l’enterrement de première classe pour un gamin doué d’un peu
d’imagination -- une petite ville qui pourrait être son
Burbank natal qui n’avait d’autre vertu que de se situer à un jet de pierre
d’Hollywood et de ses mythologies. Cette petite ville, bien sûr, elle ne vient
pas seulement de l’enfance du cinéaste ; elle arrive aussi, revue et
corrigée en noir et blanc, d’Edward aux
mains d’argent (Edward Scissorhands,
1990), film fondateur sur beaucoup de plans. Le Frankenweenie qu’on peut voir aujourd’hui en constitue à la fois le remake et la matrice narrative puisqu’il procède lui-même d’un court métrage antérieur, réalisé
en 1984 déjà sous le titre de Frankenweenie
et racontant la même histoire mais avec de vrais acteurs (Shelley Duvall
notamment) et dans de vrais décors. C’est donc à partir des rêveries de ce
Victor Frankenstein métamorphosé en adolescent américain (et véritable doppelgänger du cinéaste) que Tim Burton
imagina un jour de réaliser des variations moins sur le mythe de Frankenstein
tel qu’imaginé par Mary Shelley que sur ses avatars cinématographiques -- du Frankenstein de James Whale (1931), et
ses suites produites par Universal, jusqu’à la brillante parodie qu’en fit bien
plus tard Mel Brooks (Frankenstein
Junior/Young Frankenstein, 1974).
Ainsi Frankenweenie, qui peut être vu comme un simple divertissement où
les enfants (mais pas trop jeunes) trouveront un certain plaisir, n’est
cependant rien moins qu’un film simple. Plus encore que dans Edward aux mains d’argent, Burton suit
ici d’assez près l’intrigue du Frankenstein
de James Whale jusque dans la séquence finale du moulin en feu. Il y a depuis
longtemps chez lui le désir de confondre l’innocence enfantine avec tout un
aréopage de créatures monstrueuses en apparence mais souvent victimes de
l’arrogance et de la bêtise des grandes personnes. Il fusionne cette fois
créateur (l’enfant) et créature (le chien) en une sorte d’unique entité
affective qui s’isole du monde des adultes pour mieux accéder à une sorte
d’univers parallèle où triomphe la fiction
-- c'est-à-dire le cinéma. Car Frankenweenie est d’abord et avant tout
un rêve de cinéphile, celui d’un gamin fou de cinéma, et d’un cinéma riche en
imaginaire. Les liens de parenté ne manquent d’ailleurs pas entre un Burton
bricolant ses premiers films avec des petits soldats en plastique, et un
Spielberg manœuvrant avec ses copains la caméra 8 mm paternelle -- et
aussi médiocre qu’il soit, le film de J.J. Abrams Super 8, évoque bien cette passion juvénile qui anima plus d’un adolescent.
Comment ne pas voir au passage ce qui unit Frankenweenie,
l’enfant et son chien reconstitué, et E.T.,
l’enfant et son ami extra-terrestre
-- l’un et l’autre victimes de
l’incompréhension et la vindicte d’une humanité soi-disant adulte. Tourmenté
par des esprits plus ténébreux que ceux qui hantent Spielberg (quand l’un
pencherait vers le gothique, l’autre préfère la « ligne claire », de
Disney à Hergé), Burton inscrit son film dans un patchwork de citations qui célèbrent un cinéma qui serait un heureux
mélange de fantastique volontiers naïf et de bricolage un brin ringard. Le
court métrage qu’a réalisé le jeune Victor renvoie certes à Burton lui-même et
à ses premiers balbutiements cinématographiques, mais en voyant ces créatures
volantes retenues par des fils bien visibles, difficile de ne pas songer aux
films du calamiteux Ed Wood, cinéaste aussi incapable qu’original et cher à son
cœur --
au point qu’il lui a consacré un film en 1994.
Ce n’est là que l’amusant prélude à
une pluie de citations qui composent à l’arrivée un portrait de l’artiste en
cinéphile incorrigible. Si le Frankenstein
de James Whale sert de colonne vertébrale à toute l’entreprise, Burton s’amuse
à convoquer quelques grandes figures du cinéma fantastique jusque dans le choix
du nom et l’apparence de certains de ses personnages. Le copain bossu de Victor
s’appelle ainsi Edgar E. Gore -- triple allusion à Poe, aux films
sanguinolents et à l’assistant lui aussi contrefait de Frankenstein (baptisé
Fritz dans le premier opus mais Ygor dans Le
Fils de Frankenstein/Son of Frankenstein, Rowland V. Lee, 1939) ; et
sa petite voisine se nomme Elsa Van Helsing
-- double allusion cette fois à
la comédienne Elsa Lanchester (celle qui fut la fiancé de Frankenstein), et au
professeur Van Helsing, l’homme qui pourchasse le vampire Dracula. Ce même
Dracula qui s’invite dans le film sous les traits mythiques de Christopher Lee
(dans un extrait de Horror of Dracula/Le
Cauchemar de Dracula, Terence Fischer, 1958) tandis qu’un des collégiens hérite
du faciès de Boris Karloff et que Vincent Price, acteur majeur du cinéma
fantastique de série B façon Roger Corman, se laisse deviner sous les traits du
professeur de physique dont l’accent fleure bon une Transylvanie d’opérette.
Ajoutons pour faire bonne mesure que la petite chienne d’Elsa se retrouve
affublée de la célèbre chevelure noire striée d’un éclair blanc de la fiancée
de Frankenstein, et quand les copains de Victor tentent à leur tour de
ressusciter des animaux morts, on a droit à un festival de monstres parodiques
particulièrement réjouissant, de Godzilla aux Gremlins -- ces
Gremlins dont les aventures ont été produites par Spielberg mais filmées par
Joe Dante, ex-poulain de l’écurie Corman et qui incarne en quelque sorte la
face noire du gentil papa d’E.T.
Au terme d’une aventure aussi drôle
qu’essoufflante, on en redemanderait presque tant le plaisir a été grand. Un
plaisir encore redoublé par la technique d’animation image par image qui met en
scène des marionnettes en volume -- technique déjà utilisée par Burton pour Les Noces funèbres (Corpse Bride, 2005) et presque aussi vieille que le cinéma,
améliorée certes par l’apport du numérique, mais encore très riche en poésie et
qui nous change agréablement de ces films d’animation formatés dont on nous
abreuve de plus en plus et, succès
oblige, avec de moins en moins de discernement. Alors, Burton, auteur ou habile
faiseur, on ne manquera sans doute pas d’en débattre, mais tout de même, quel
raconteur d’histoires !
Joli article. Je suis content de lire cette relation secrète entretenue par Burton et Spielberg dans les années 1980-1990.
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