Summertime
(The Dynamiter), de Matthew Gordon
(2011).
Avec le cinéma indépendant américain, on
n’est jamais à l’abri de très bonnes surprises
-- même si le seul label de
« cinéma indépendant », tout comme celui de « cinéma
d’auteur » d’ailleurs, ne nous évite pas pour autant de très mauvaises
surprises, bien au contraire. Cette fois cependant, avec ce Summertime, premier film de fiction d’un
jeune réalisateur qui a semble-t-il fait ses classes dans le reportage et le
documentaire, c’est bien d’une belle et bonne réussite qu’il s’agit, aussi
modeste dans ses moyens qu’ambitieux dans ses intentions et abouti dans sa
réalisation.
Ne parlons pas vraiment pour le coup
d’une histoire au sens où on l’entend habituellement, avec un début, un milieu
et une fin, même si son personnage central, Robbie, un jeune garçon de
quinzaine d’années, évolue progressivement et gagne en maturité le temps d’un
été de vacances (d’où le titre « français » de Summertime, très différent du titre original The Dynamiter, mais pas totalement déplacé pour autant). Evoquons
plutôt une sorte de chronique, à la fois tableau social et récit
initiatique -- bildungsroman
dans le sud profond, sur lequel planent les ombres littéraires de Mark
Twain et de William Faulkner et celles, cinématographiques, du John Ford des Raisins de la colère (The Grapes of Wrath, 1940) ou, plus
encore, du Martin Ritt de Conrack
(1972) ou de Sounder (1974).
C’est plus précisément dans le
Mississippi que Matthew Gordon situe son histoire, un Mississippi certes
contemporain mais qu’on croirait comme figé dans un autre temps, dans un passé
qui serait cependant d’autant moins mort qu’il n’est même pas passé, pour reprendre
la belle formule de Faulkner, et qui pèse de tout le poids d’un réalisme
funèbre. Robbie vit là dans une maison délabrée avec son demi-frère et sa
grand-mère, vieille femme mutique qui observe le monde comme il va. Et il va
mal, le monde, pour Robbie et les siens, abandonnés par une mère qui vit sa vie
ailleurs, loin d’eux, sautant d’un homme à un autre, et pourtant dont le retour,
comme dans un drame antique, est toujours attendu, peut-être même espéré, sans
doute redouté. Il y a une grandeur tragique dans cette attente et Robbie, comme
dans la fratrie recomposée et haineuse du Shotgun
Stories de Jeff Nichols (2007), atteint à la beauté du héros antique maudit
des dieux.
Tout en menant son existence de jeune
garçon qui partage les jeux de son âge avec son demi-frère cadet, notamment au
sein d’une nature qui n’est pas sans évoquer cette fois certains textes de
Truman Capote (ceux liés à l’enfance et au sud comme La Harpe d’herbes) ou Les
Moissons du ciel (Days of Heaven,
1978) de Terrence Malick, Robbie doit multiplier les expédients pour permettre
à sa famille de survivre tant bien que mal et de se tenir à l’écart de ces
services sociaux, toujours vécus (voir ainsi le personnage qu’incarne Tilda
Swinton dans Moonrise Kingdom) comme
la pire atteinte à la liberté de l’homo
americanus.
Car, au-delà du héros antique poursuivi
par le fatum, Robbie s’inscrit aussi et surtout dans la grande tradition,
peut-être un peu oubliée de nos jours, du héros américain héritier du Natty Bumppo
de Fenimore Cooper ou du Huckleberry Finn de Mark Twain, personnage toujours en
partance, éternel coureur des bois
-- et c’est bien de cela qu’il
est question à la fin du film quand Robbie quitte sa famille d’accueil pour
prendre la route en compagnie d’un couple de jeunes Noirs, personnages eux
aussi en rupture. L’automobile remplace le radeau mais c’est bien à la même
plongée dans l’imaginaire poétique américain que nous invite ici Matthew
Gordon.
Il est tout à la fois réjouissant et
passionnant de voir plusieurs jeunes cinéastes d’outre-Atlantique revenir ces
temps-ci avec bonheur et réussite vers les grands mythes américains et
quelques-unes de leurs racines européennes, les contes de fées notamment. Ainsi
Debra Granik avec Winter’s Bone ou
tout récemment Wes Anderson avec Moonrise
Kingdom ont-ils mis en scène des adolescents refusant un monde d’adultes
inconsistants et égarés, mais pétris d’une bonne conscience stérile et sans
séduction, et partant en quête des images, des récits et des valeurs d’un passé
magique riche d’expériences tout à la fois attirantes et effrayantes, voire
dangereuses -- mais vivantes.
C’est dans ce sillage que s’inscrit aujourd’hui Summertime, remarquablement interprété par des comédiens non professionnels
et curieusement mieux écrit que filmé (pourquoi toujours ces affèteries un peu
naïves qui veulent faire passer une œuvre de fiction très élaborée, et
particulièrement travaillée, pour un documentaire saisi sur le vif ?) mais
vraie réussite cependant. Et c’est avec une impatience non feinte que l’on
attend (pour décembre, je crois bien) toujours dans le même registre, Les Bêtes du Sud sauvage, de Benh
Zeitlin, et Mud, le dernier film de
Jeff Nichols.
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