La Part des anges (The
Angels’ Share), de Ken Loach (2012).
L’engagement politique de Ken Loach à l’extrême-gauche n’est un secret pour
personne -- engagement qui lui a souvent valu (et lui
vaut encore) l’hostilité d’une partie des médias britanniques. Il est vrai
qu’en général il ne fait guère dans la nuance et qu’il a souvent la patte assez
lourde, pratiquant un manichéisme pour le moins simplificateur assorti de
discours indigestes. Rien de tel cette fois où il nous propose (pour reprendre
un terme répandu par la presse mais qui ne me paraît pas vraiment adapté) une
comédie -- pas un grand film certes (Loach est-il seulement
un grand cinéaste ?), mais une œuvre aimable et qui donne tout de même à
espérer. Un de ces types de comédie comme les cinéastes italiens savaient si
bien en faire dans les années 60 et 70, c'est-à-dire enracinée dans la réalité
sociale, en sympathie avec les déshérités de la vie et d’un comique non exempt
d’une certaine gravité.
Tout le début du film, qui nous
présente très classiquement (le cinéma de Loach n’a rien eu de révolutionnaire
sur la forme) les personnages principaux, relève d’ailleurs davantage de ce
type de faux documentaire social qu’il a illustré au tout début de sa carrière
(à l’époque de Poor Cow/Pas de larmes
pour Joy, 1967, ou de Kes, qui
l’a révélé en 1969) à la fois dans le sillage du free cinema [1]
et de l’école documentariste britannique des années 30. Soit donc un quarteron
de jeunes plus ou moins cabossés par la vie et les difficultés sociales qu’un
juge plutôt bon bougre (ce n’est pas une contradiction) envoit assurer quelques
centaines d’heures de travaux d’intérêt général sous la surveillance d’un autre
bon bougre, amateur éclairé de whisky. C’est grâce à lui que Robbie (Paul
Brannigan), le plus malin du groupe mais aussi le plus violent et qui paraît
condamné à une vie de délinquant, va développer une passion pour le whisky en
se découvrant des qualités de dégustateur. Avec trois acolytes pittoresques
(dont une fille kleptomane), il monte une arnaque pas vraiment méchante pour
s’adjuger la « part des anges » en même temps que quelques milliers
de livres et surtout la possibilité de repartir du bon pied dans la vie en se
faisant embaucher dans une distillerie.
Cette mystérieuse « part des
anges » qui donne son titre au film, c’est la petite quantité d’alcool qui
s’évapore lors des différentes phases de la fabrication du whisky --
petite quantité à jamais perdue pour les amateurs. Robbie et ses
copains, eux, vont s’octroyer leur propre « part des anges »,
quelques bouteilles d’un vieux whisky d’une qualité exceptionnelle siphonné
dans un tonneau mis aux enchères et qu’un richissime américain s’approprie pour
une somme astronomique. On peut sans doute voir là, compte tenu de la
personnalité de Loach (et de son scénariste, Paul Laverty), la critique d’un
système social et financier qui dépense des sommes folles en futilité et que
vont subvertir, à leur façon souriante
et optimiste, nos quatre sympathiques pieds nickelés. Mais rien n’est trop
appuyé cette fois et, par l’empathie que l’on ressent pour les personnages et
le côté exagérément exemplaire de l’entreprise, on se trouve autant du côté de
Capra et ses bons sentiments que de Risi ou de Monicelli et de leur rire
volontiers grinçant.
On a même le sentiment cette fois
que Loach a mis un peu d’eau dans son vin (rouge évidemment) : nul appel
au grand soir ce coup-ci, nulle noirceur dans la description des nantis (ce
sont au contraire les mauvais garçons qui poursuivent Robbie de leur vindicte
ou la famille de sa compagne qui, cette fois, servent de repoussoir), juste le
désir tout simple de pouvoir repartir à zéro, du bon pied, avec une petite
maison, une gentille femme et un attendrissant nouveau-né. Quelque chose qu’en
d’autres temps certains n’auraient pas manqué de traiter d’aspirations petites
bourgeoises. Les temps changeraient-ils ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire