12 mars 2012

Whooosh! Crash! Bong!

John Carter, de Andrew Stanton (2011).

            Pourquoi le taire et nourrir je ne sais quelle fausse honte : j’avais grande envie de voir ce John Carter, adapté d’une série de romans de Edgar Rice Burroughs (célèbre pour être le « père » littéraire de Tarzan), d’abord parce que, vieux gamin monté en graine, j’aime bien ce type de récit un peu hybride, ni tout à fait science-fiction, ni tout à fait heroic fantasy mais qui mêle genres, époques et technologies bizarres (on retrouve ici une pincée de western et un récit à la Jules Verne) et flirte avec ce qu’on  appelle le steampunk.


            Il y avait ensuite la présence aux commandes d’Andrew Stanton venu de l’animation tendance Pixar et auteur du Monde de Nemo (Finding Nemo, 2003), double clin d’œil à Jules Verne et au Little Nemo des premiers temps de la bande dessinée [1], et surtout de Wall-E (2008), un vrai grand film tout court. Après Bard Bird, lui aussi venu de chez Pixar (on lui doit l’excellent Ratatouille, 2007), et sa très réussie Mission Impossible : Protocole fantôme (Mission : Impossible – Ghost Protocol, 2011), l’arrivée de ces rois de l’animation semble vouloir faire souffler un vent original et qu’on espère durable sur les blockbusters spectaculaires boostés à la testostérone.

            Enfin, cerise sur le gâteau (mais je ne l’ai découvert qu’au générique final), il faut souligner la participation à l’écriture du scénario de l’excellent romancier Michael Chabon, que j’ai rapidement évoqué dans un billet précédent, imprégné de bandes dessinées (il est l’un des auteurs du très bon Spiderman 2, de Sam Raimi, 2004, et son roman Les Aventures extraordinaires de Kavalier et Clay baigne dans l’univers des comics et des super-héros) et dont la dernière parution, Les Princes vagabonds, s’inscrit dans la tradition des romans de cape et d’épée moyenâgeux qui, dit-il, répond chez lui à un besoin d’aventures [2] et est au surplus dédié à Michael Moorcock, écrivain britannique maître de l’heroic fantasy et auteur d’un cycle du guerrier de Mars écrit en hommage au cycle de Mars d’Edgar Rice Burroughs dont John Carter est précisément l’adaptation. On voit que tout paraît se tenir ici comme dans un vertigineux et fascinant jeu de miroirs et de correspondances qui brasse genres, lieux et époques exactement à la façon du film qui convoque aussi Homère et son Iliade quand ce n’est pas Jack Vance et son célèbre cycle de Tschaï.

            Reste qu’il n’existe pas de règle qui voudrait qu’une accumulation de talents potentiels et de hasards heureux fasse nécessairement un bon film. C’est pourtant le cas cette fois où une intrigue aussi échevelée qu’extravagante, comme imaginée par un quarteron de vieux étudiants au cours d’une soirée bien arrosée, délire entre temps et espace avec désinvolture et frénésie et surtout sans jamais se prendre au sérieux. Qu’on en juge plutôt : un ex-officier de l’armée confédérée, le dénommé John Carter, poursuivi par des Apaches se réfugie dans une caverne et se retrouve sur la planète Mars où il devient une sorte de super-héros qui prend part à une guerre entre cités rivales pour les beaux yeux d’une princesse autochtone. Whooosh ! Crash ! Bong ! [3]

            Tout est dit et pourtant rien n’est dit car le plaisir qu’on prend au film tient moins aux péripéties, qu’on suit avec intérêt tout en renonçant à comprendre le pourquoi du comment des choses, qu’au charme que distille l’entreprise et qui nous ramène, aussi bizarre que cela puisse paraître, à ces temps anciens où l’on découvrait les premiers Star Wars et ça, s’exclame-t-on toujours, c’était du cinéma ! Car bien que le numérique soit ici omniprésent (le film est dédié à la mémoire de Steve Jobs), Stanton parvient à le maîtriser parfaitement et à le rendre d’une discrétion telle qu’on l’oublie. Tout aussi discrets apparaissent les choix de mise en scène qu’exige généralement la tyrannie de la 3D et qui polluent l’image avec ostentation, y compris en 2D (la version que j’ai choisi de voir). Plutôt que de vouloir rouler les mécaniques (il laisse cela à ses personnages), Stanton déroule son récit de manière ultra-classique et sans effets tapageurs, sachant rendre hommage au passage à quelques grands anciens (Ford et Leone dans la partie « western » du film) et, en bon petit prodige de l’animation qu’il a été et reste, c’est davantage par un très riche imaginaire visuel qu’il s’impose. Aussi, au cœur d’un bestiaire fabuleux où se côtoient yetis bodybuildés, martiens à quatre bras et centurions rescapés d’un péplum italien des années 60, prend-on un plaisir naïf et enfantin mais bien réel aux très improbables aventures de ce Tintin interstellaire et sur-vitaminé, flanqué d’un Milou martien aussi futé et affectueux que son homologue terrien mais nettement plus véloce.

            Il n’y a nul message à découvrir entre les images de cette épopée dénuée de toute prétention et au manichéisme bon enfant. Les méchants sont bien méchants et fourbes à souhait  --  mais, qu’on se rassure, pas invincibles pour autant, même dotés de pouvoirs magiques ; et les gentils sont très gentils, malins et plein de ressources  --  et ne l’emportent à la fin que pour affronter de nouveaux périls dans un prochain épisode qu’on peut imaginer déjà sur le métier. Croisement réussi entre serial et roman feuilleton, baroque tendance kitsch [4] et humour potache, c’est un vrai cadeau de Noël en forme de bain de jouvence qui nous parvient avec presque trois mois de retard. Le temps qu’il faut sans doute pour arriver de la planète Mars.

[1] Le personnage de Little Nemo a été imaginé par Winsor McCay en 1905 pour des aventures intitulées Little Nemo in the Slumberland où le héros voyage à travers les lieux et les époques pendant son sommeil. Il passe notamment par la planète Mars et rencontre une foule de créatures étonnantes et merveilleuses. Vous avez dit cohérence?
[2] Ainsi qu'il le précise dans la postface de son livre, ajoutant que "cette impulsion semble une incongruité chez un écrivain du genre littéraire, sérieux, auquel il espère depuis longtemps être assimilé" (Les Princes vagabonds, Robert Laffont, 2010, p.196). Toutes les oeuvres de Michael Chabon ont été publiées chez Robert Laffont. Je me permets de recommander tout particulièrement Le Club des policiers yiddish, disponible en 10X18.
[3] Citations authentiques des strips 923 et 1224 de Superman (1941 et 1942), Jerry Siegel et Joe Shuster, Futuropolis, 1981.
[4] L'acteur principal s'appelle d'ailleurs Taylor Kitsch: ça ne s'invente pas.

2 commentaires:

  1. Je n'ai pas (encore) vu ce film, mais je lisais hier avec intérêt la critique de Libération[*] qui en saluait le "courage" (contrairement à Télérama qui -- sans surprise -- le descend en flèche). Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à lire chez vous ces éloges (qui s'étendent même à Spiderman 2 et au dernier Mission Impossible !). Ces deux points de vue combinés m'incitent à aller y jeter un coup d'œil, là où j'aurais normalement eu tendance à fuir en voyant sur l'affiche le désormais prévisible "grand film d'aventure, en 3D!!!", qui ne présage en général rien de bon.

    Peut-être paradoxalement, tout cela m'invite aussi à revoir Wall-E où (sans déplaire aucunement) l'argument et les décors m'avaient semblé prendre le pas sur toute vélléité d'écriture cinématographique.


    * http://next.liberation.fr/cinema/01012394301-carter-en-avant-mars

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  2. Merci pour vos commentaires.
    Pourquoi n'aimerais-je pas ce genre de films très spectaculaires qui me ravissent quand ils sont bien faits? Vous nourrissez à mon endroit de bien forts préjugés!
    En revanche, je fuis à toutes jambes le label 3D (qui détruit notamment une bonne partie du travail des chefs-opérateurs). La 2D suffit largement à mes plaisirs cinéphiliques.

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