2 mars 2012

Reconstructions.

Extrêmement fort et incroyablement près, de Stephen Daldry (2011).
Martha Marcy May Marlene, de Sean Durkin (2011).

            On peut sans doute adresser bien des reproches à Stephen Daldry, mais assurément pas celui de manquer d’ambition dans ses entreprises d’adaptations littéraires. Après Les Heures, de Michael Cunningham (Prix Pulitzer 1999) et Le Liseur, de Bernhard Schlink, l’un et l’autre assez périlleux à adapter, il s’attaque aujourd’hui à un roman réputé foisonnant, et que je dois avouer ne pas avoir lu, de Jonathan Safran Foer, poids lourd de la jeune littérature américaine, après avoir semble-t-il renoncé aux Corrections, de Jonathan Franzen, autre poids lourds de la même jeune littérature américaine, mais nourrissant aujourd’hui le projet d’une adaptation d’un autre roman lui aussi très foisonnant et récompensé par un Prix Pulitzer (en 2001), Les Aventures de Kavalier et Clay, de Michael Chabon, lui aussi poids lourd de la toujours même jeune littérature américaine. Mais peut-être faut-il surtout voir derrière l’ambition du cinéaste celle de ses différents producteurs, Anthony Minghella (dont on connaît le goût pour les adaptations difficiles, du Patient anglais à Retour à Cold Mountain) et Sydney Pollack [1] pour The Reader (2008) et Scott Rudin pour Les Heures (The Hours, 2003) et tous les autres films, y compris ses projets avortés ou non.


            L’ambition ne saurait cependant suffire pour réussir un film et Stephen Daldry en fait aujourd’hui l’expérience après un parcours jusqu’ici plutôt réussi et assez semblable à celle de son compatriote Sam Mendes. Britannique, né en 1961, il a d’abord mené une longue carrière au théâtre avant d’obtenir un grand succès public avec son premier film Billy Elliott (2000). Aussitôt aspiré par la mécanique hollywoodienne, il a su très habilement tirer son épingle du jeu avec Les Heures puis The Reader  --  deux films très brillants qui doivent sans doute beaucoup au travail du scénariste et dramaturge David Hare (et, pour Les Heures, à la partition musicale de Phil Glass).

            Bien que bénéficiant cette fois encore de l’apport d’un scénariste chevronné, Eric Roth (on lui doit entre autres les scripts de Forrest Gump, Révélations/The Insider, de Michael Mann, Munich, de Steven Spielberg, et L’Etrange histoire de Benjamin Button/The Curious Case of Benjamin Button, de David Fincher), il échoue à transposer l’histoire de cet étrange petit garçon, plus ou moins atteint du syndrome d’Asperger, dont le père est mort dans les attentats du 11 septembre et qui tente de se reconstruire (ou de se construire tout court) à travers une errance sous la forme d’une quête mystérieuse dans les différents quartiers de New-York.

Le sujet en vaut bien d’autres et le mélodrame n’est sûrement pas un genre méprisable. Mais, pour le coup, Stephen Daldry semble avoir transformé toutes les qualités de ses précédents films en autant de défauts  --  et parfois à la limite du supportable. Lui qui jouait avec brio, surtout dans Les Heures, d’un récit éclaté, glissant d’une époque à une autre et d’un lieu à un autre à l’aide d’heureuses correspondances et de riches rimes internes, le voilà aujourd’hui incapable de retrouver la même clarté narrative. Tout comme Alexandre Desplat qui s’épuise à courir après les accents musicaux de Phil Glass pour Les Heures et ne produit au bout du compte qu’une composition envahissante. Le film devient ainsi très vite extrêmement lourd et incroyablement démonstratif, jouant de façon répétée mais avec maladresse sur la corde sensible du spectateur. Les ficelles dramaturgiques sont tellement visibles, les péripéties tellement prévisibles que toute émotion se trouve bien vite évacuée, ne laissant place qu’à un vague sentiment d’ennui et, pire encore, d’indifférence  --  un comble tout de même pour un sujet pareil !

Même les comédiens en sont réduits à jouer les utilités, en dépit d’une distribution de haut vol  --  Tom Hanks, Sandra Bullock, John Goodman, Jeffrey Wright, Max von Sydow et Thomas Horne, le dernier petit prodige du cinéma américain. Mais aussi, comment faire vivre des personnages inconsistants et limités à quelques clichés ? C’est d’autant plus regrettable que Daldry se révèle capable ici ou là (voir la scène où le petit garçon avoue ne pas avoir eu le courage de décrocher le téléphone ce fameux « pire jour » comme il dit) de réussir une vraie scène d’émotion non trafiquée et qu’un Max von Sydow parvient (il est bien le seul) à donner un peu d’épaisseur et quelques éclats de sensibilité à son curieux personnage de vieillard mutique.

C’est aussi d’une reconstruction qu’il s’agit dans Martha Marcy May Marlene, premier film autrement plus convaincant et très prometteur de Sean Durkin, réalisé sous les auspices du Sundance Institute, le nec plus ultra en matière de cinéma indépendant américain. L’improbable litanie de prénoms qui compose le titre (pas très bon d’ailleurs) s’explique par la psyché mise en pièces du personnage principal, une jeune femme prénommée Martha mais rebaptisée Marcy May à la « ferme », une sorte de secte dont elle s’est échappée et où il lui arrivait de se présenter (au téléphone) sous le nom de Marlene.

Le récit est très elliptique et volontairement dépouillé : recueillie par sa sœur aînée et son beau-frère qui tentent de la ramener à une sorte de normalité, on ne saura jamais comment Martha en est venue à accepter les règles de servitude volontaire d’une secte qui vante le retour à la terre et à la pureté des origines sous la direction d’un inquiétant gourou (John Hawkes, croisé l’an dernier dans Winter’s Bones). Très efficacement organisé, le film se déroule sur deux plans montés en parallèle, des retours en arrière qui évoquent la vie à la « ferme » alternant avec des scènes au présent où Martha tente de se reconstruire au sein de ce qu’il lui reste de famille  --  on peut d’ailleurs gager que l’expérience de vie communautaire à la « ferme » palliait un manque de structure familiale.

Mais cet incessant va-et-vient entre un présent à la normalité qui peut aussi, à sa façon, être oppressante (sinon oppressive), et un passé qui a transformé un rêve idyllique en un cauchemar lourd de menaces, laisse sourdre une sorte de paranoïa dans laquelle Martha s’enfonce peu à peu. Avec une remarquable économie de moyens, enfermant ses personnages dans des images au cadre très serré et à faible profondeur de champs, comme pour mieux saisir l’étouffement et le flou qui les saisissent, le cinéaste installe progressivement un climat de malaise qui n’est pas sans évoquer l’univers d’un Polanski  --  dont Sean Durkin reconnaît d’ailleurs volontiers l’influence.

Une autre influence apparaît cependant de façon sous-jacente quand on ne parvient plus à faire la différence entre réalité et fantasmagorie, quand s’installe une confusion permanente que confirme la fin abrupte du film, quand rien n’est jamais clairement dit ou explicité, c’est celle du grand Jacques Tourneur et de ses films plus d’angoisse que de terreur où tout était suggéré sans être jamais montré.

Polanski, Tourneur : on peut imaginer de plus médiocres parrainages.   

[1] L'un et l'autre décédés à la sortie du film.

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